L’Empire américain : clausewitzien ou virtuel ?

glbeLe Débat Stratégiquen0 61, mars 2002.

Par Alain JOXE

L’Empire américain est seul au monde à prétendre diriger le monde entier. Mais ce projet est encore virtuel. On est obligé de se demander depuis la guerre du Golfe et plus encore depuis l’attentat du 11 septembre 2001 si l’Empire américain global est avant tout économique ou avant tout militaire. Vieille question.

Deux différences notoires distinguent l’Empire américain de tous les autres Empires du point de vue de l’application de la violence. C’est un Empire non conquérant ; c’est un Empire aéro-satellitaire électronifié capable d’un ciblage numérique global.

Types de guerres impériales

Les types de guerres que se propose de gagner l’Empire américain comme « non conquérant » et comme aéro-satellitaire doivent être soigneusement analysés dans leur finalité politique, car l’Empire va tenter d’entraîner tous ses alliés comme auxiliaires dans ces guerres impériales. La France, comme demain l’Europe, ont intérêt à vérifier si les expéditions américaines servent les intérêts, les principes et les enjeux propres à l’Europe, ou s’il va falloir être capable de s’en distancier.

La « non conquête » découle des objectifs libéraux dérégulateurs des entreprises ; fondée sur une éthique américaine ancienne, cette stratégie a été suspendue partiellement (en Corée, au Vietnam) par la guerre froide et par la territorialité de l’Empire soviétique. La « non conquête » se trouve rétablie dans l’après guerre froide : l’Empire américain cherche seulement l’absorption des espaces et des systèmes économiques dans le système néolibéral de marché, qu’il domine.

Expéditions offensives non conquérantes ou sous-traitées

Ses expéditions militaires sont cependant offensives (car l’« enlargment » a remplacé le « containment »). Ces offensives sont ainsi destinées à trois types de guerres, toutes asymétriques.

  1. Le renversement des régimes despotiques ou mafieux (despotês : maître de maison esclavagiste, en grec) c’est-à-dire régimes qui s’opposent à la globalisation libérale, au nom d’une version patrimoniale locale violente de la souveraineté ; Somoza était un despote, Berlusconi pourrait le devenir, à la longue, car il gère une tendance au monopole privé des services publics par le Chef de l’Etat. Le régime mafieux est un intermédiaire entre le despotisme et la tyrannie dans la mesure où c’est un populisme.
  2. Le renversement des régimes tyranniques — c’est-à-dire procédant d’une définition populiste nationaliste de l’économie. Chavez est un « tyran », comme Castro, dans le vocabulaire greco-romain, utilisé par Washington, car il gère des ressources nationalisées au profit d’une redistribution de richesse vers les classes défavorisées (du moins l’affirment-ils comme projet). La réaction anti-chaviste des classes moyennes supérieures vénézuéliennes (et colombiennes) est typiquement « romaine » et manifeste l’hégémonie de la classe « sénatoriale » sur la société vénézuélienne.
  3. La punition des peuples rebelles, par des actions répressives exemplaires destinées à rétablir l’ordre ou prévenir une menace, plutôt que de se défendre contre une attaque ; quels que soient les enjeux, ces actions ont valeur de « conquête virtuelle » — elles sont dissuasives dans le temps pour le peuple écrasé, dans l’espace, pour les peuples voisins. Elles visent non à les occuper pour les soumettre, encore moins à les protéger après conquête contre l’invasion ou contre le malheur ou de la crise socio-économique, ou de la « guerre de tous contre tous ». L’Empire n’est pas garant de paix.

Pendant la bipolarité, l’Empire contenait les membres de l’OTAN et l’Hémisphère américain. Aujourd’hui, la dérégulation d’Empire sans frontière et sans « intérieur » entraîne un peu partout des désordres chaotiques, l’OTAN ne sert plus à délimiter des pays qui méritent protection. Il n’est qu’une réserve virtuelle de coalitions ad hoc pour les types d’expéditions décrites plus haut.

Guerres « géopolitiques » de l’Empire électronique

La seconde typologie de guerre dérive de la révolution technologique : il s’agit de dominer ce monde, resté inconquis non plus essentiellement par la domination des mers et des littoraux par la flotte de guerre, mais par un nouveau no man’s land, l’espace aéro-satellitaire qui joue le rôle que jouait l’Océan dans l’imaginaire géopolitique de l’antiquité. L’espace est, comme l’océan britannique, un no man’s land à partir duquel on peut vouloir contrôler et dominer l’ensemble des terres habitées : l’océan spatial baigne verticalement toutes les terres émergées, non pas seulement les côtes. La géopolitique conquérante de l’Empire peut penser projeter des forces partout où son aviation de bombardement de haute altitude, ses satellites d’observation et ses fusées intercontinentales ou à portée littorale peuvent traiter des objectifs avec précision, c’est-à-dire partout.

C’est à cette démonstration que sert l’expédition d’Asie Centrale contre l’Afghanistan, le régime taliban et le réseau Ben Laden. La maîtrise de cet espace ou plutôt la démonstration pratique de cette maîtrise, transforme l’Asie Centrale en un « golfe » dans l’espace aéro-satellitaire qui permet de séparer la Russie de la Chine et de l’Inde, de couper l’Asie continentale du Golfe persique (même si la mer est nécessaire « à l’ancienne » au bout du pipe line pour évacuer le pétrole).

La guerre d’Afghanistan est à la fois une guerre contre un régime et une guerre aéro-satellitaire avec ciblage numérisé par GPS, voire contribution des alliés (France, Grande Bretagne) en matériel volant paraissant plus rustique. L’opération dans laquelle la France a été entraînée n’a d’ailleurs donné lieu à aucun débat public, alors que sa mission au départ devait être humanitaire. C’est à déplorer, mais il n’est pas trop tard.

La victoire sur les pauvres par le massacre tue aussi le marché

La principale contradiction interne de l’imperium n’est pas dans la déshumanisation de l’espace-temps de la visée technique, mais la contradiction entre l’établissement d’un système global essentiellement défini par des paramètres économiques, et un imperium qu’on refuse par doctrine de faire agir sur la société en amont de l’économie, et qui se prépare seulement à punir le monde s’il se rebiffe, et donc à commettre des massacres sans fin, c’est-à-dire sans but politique donc sans victoire et sans paix.

Au delà des beaux discours, il faut se poser les questions de la finalité des « victoires » qui vont suivre les expéditions — ou les sous-traitances — d’Afghanistan, des Philippines, d’Iraq, de Colombie, de Palestine, voire demain de Corée, d’Iran, de Somalie. Plutôt que se demander si ces types de guerres définies par leur asymétrie opérationnelle et leurs objectifs simplifiés (guerre au terrorisme) sont « raisonnables » ou « déstabilisantes », ce qui n’est pas assez précis, il faudra examiner si ces types de guerres sont conformes à des buts politiques de mise en forme locale de l’économie et de la société, autrement dit, si ce sont des opérations clausewitziennes, ou bien si elles obéissent à des rationalités purement militaires, voire policières, de contrôle semi-aléatoire des comportements violents, ne cherchant pas ou plutôt se coupant de toute compétence de transformer une victoire en paix.

L’Empire simplifié, virtuel

Les représentations stratégiques américaines actuelles prétendent, sans médiation politique, mettre le « monde en forme » de libre marché. Mais ne s’agit-il pas plutôt d’un mélange incohérent de traditions impériales conquérantes attardées, de démonstrations techno-stratégiques futuristes et de myopie politique ? En somme d’une improvisation composite qui proclame en termes logistiques plutôt qu’opérationnels la supériorité sur tout ennemi possible, réel ou virtuel.

L’Empire par sa globalité et sa non prise en charge des vaincus est un Empire qui n’est souverain que par la menace de mort, non par la promesse de vie. La question est ancienne : pour Hobbes comme pour Carl Schmitt, ou Gramsci : la soumission terrifiée sans protection, sans hégémonie n’engendre pas de souveraineté légitime. Tant qu’il est illégitime, l’Empire reste virtuel, même s’il se veut global. Si l’Empire reste réel c’est qu’il a des limites.

armanda dos santos

Armanda DOS SANTOS Mail: armanda@blissyou.fr Journaliste & auteure Thérapeute Ayurvedique Praticienne en Panchakarma, Marmatherapie & Réflexologie Redactrice editoriale d'Ayurveda Magazine France, de The Bliss Way Webzine, co-fondatrice de Nature's Diet (UK), et redactrice pour Everyday Ayurveda (US). Executive Editor de la revue internationale JAHM (Journal of Ayurveda and Holistic Medicine). Membre d'Ayurvéda France, Association des professionnels de l'Ayurvéda en France. Membre de l'Ayurvedic Practitioners Association (APA), en UK. Membre de Yoga International. Maitre Reiki (Reiki Level I, Level II, Master Certification) Disciple du Maitre Zen Thich Nhat Hanh Hijama Therapist, Thérapeute en ventouso-therapie

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