
Il est humain que le meurtre d’un garçon israélien, un enfant à nous, suscite une plus grande identification que la mort d’un quelconque autre enfant. Ce qui est incompréhensible, c’est la réponse des Israéliens à la mort de leurs enfants.
Par Gideon Levy
Des Palestiniens à l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza après une explosion qui a tué au moins sept enfants dans une aire de jeux publique du camp de réfugiés de Shati en bord de mer, le 28 Juillet 2014. Photo AFP Après le premier enfant, personne n’a sourcillé; après le 50ème pas même frémissement n’a été ressenti dans l’aile d’un avion; après le 100ème, ils ont arrêté de compter; après le 200ème, ils ont rejeté la faute sur le Hamas. Après le 300ème ils ont blâmé les parents. Après le 400ème, ils ont inventé des excuses; après (les premiers) 478 enfants, plus personne ne s’en soucie.
Puis est arrivé notre premier enfant et Israël a été en état de choc. Et en effet, on a le cœur qui saigne devant l’image de Daniel Tragerman, 4 ans, tué vendredi soir dans sa maison de Shaar Hanegev. Un bel enfant, qui avait été une fois pris en photo dans un maillot de l’équipe de football argentine, bleu et blanc, le numéro 10. Et qui n’aurait pas le cœur brisé à la vue de cette photo, et qui ne pleurerait pas, vue la façon dont il a été criminellement tué. « Hé Leo Messi, regarde ce garçon », disait un post sur Facebook, « tu étais son héros. »
Tout à coup, la mort a un visage et des yeux bleus rêveurs et des cheveux blonds. Un petit corps qui ne grandira jamais. Tout à coup, la mort d’un petit garçon a un sens, tout à coup c’est choquant. C’est humain, compréhensible et émouvant. C’est aussi humain que le meurtre d’un garçon israélien, un enfant à nous, suscite une plus grande identification que la mort d’un quelconque autre enfant. Ce qui est incompréhensible, c’est la réponse des Israéliens à la mort de leurs enfants.
![]() ![]() Dans un monde où il y aurait un minimum de bonté, les enfants devraient être laissés à l’écart de ce jeu cruel appelé la guerre. Dans un monde où il y aurait un minimum de bonté, il serait impossible de comprendre l’insensibilité totale, presque monstrueuse face à la mort de centaines d’enfants – pas les nôtres, mais de notre fait. Imaginez-les debout en rang: 478 enfants, dans une classe de diplômés de la mort. Imaginez-les portant des maillots de Messi – certains de ces enfants en portaient aussi une fois, avant de mourir; eux aussi l’admiraient, tout comme notre Daniel d’un kibboutz. Mais personne ne les regarde; leurs visages ne sont pas vus, personne n’est choqué par leur mort. Personne n’écrit sur eux: « Hé Messi, regarde ce garçon. » Hé, Israël, regarde leurs enfants.
Un mur de fer de déni et d’inhumanité protège les Israéliens du travail honteux de leurs mains dans la bande de Gaza. Et en effet, ces chiffres sont difficiles à digérer. Des centaines d’hommes tués, on peut dire qu’ils étaient « impliqués »; des centaines de femmes qu’elles étaient des «boucliers humains». Pour un petit nombre d’enfants, on pouvait prétendre que l’armée la plus morale du monde n’avait pas eu l’intention de les tuer. Mais que dire sur près de 500 enfants tués? Que les Forces de Défense d’Israël n’avaient pas eu l’intention de les tuer, et cela 478 fois? Que le Hamas se cachait derrière chacun d’eux? Que cela rendait légitime de les tuer?
Hamas s’était peut-être caché derrière certains de ces enfants, mais maintenant c’est Israël qui se cache derrière Daniel Tragerman. Son sort est déjà utilisé pour couvrir tous les péchés de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.
La radio a déjà parlé hier d’ « assassinat ». Le Premier ministre a déjà qualifié le meurtre de « terrorisme », alors que des centaines d’enfants de Gaza dans leurs tombes fraîches ne sont pas des victimes d’assassinat ou de terrorisme. Israël devait les tuer. Et après tout, qui sont Fadi et Ali et Islam et Razek, Mahmoud, Ahmed et Hamoudi, face à notre seul et unique Daniel ?
Nous devons admettre la vérité: en Israël, les enfants palestiniens sont considérés comme des insectes. C’est une déclaration terrifiante, mais il n’y a pas d’autre façon de décrire l’état d’esprit régnant en Israël en cet été 2014. Quand pendant six semaines des centaines d’enfants sont détruits, leurs corps enterrés sous les décombres, s’empilant dans les morgues, parfois même dans chambres froides pour légumes par manque de place, lorsque des parents horrifiés transportent les corps de leurs bébés comme mus par un automatisme, quand leurs funérailles se succèdent non-stop, 478 fois – même le plus insensible des Israéliens ne devrait pas se permettre d’être si insensible.
Quelque chose ici doit se lever et crier: Assez. Aucune excuse, aucune explication ne pourra justifier cela : il n’y a pas des enfants qu’on a le droit et d’autres qu’on n’a pas le droit de tuer. Il n’y a que les enfants tués pour rien, des centaines d’enfants dont le sort ne touche personne en Israël, et un enfant, un seul, autour de la mort duquel les gens s’unissent pour le deuil. Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي |