Da’ech : Des hijras illusoires aux bains de sang

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De gauche à droite : Abou Ayman Al Iraki, Abou Ahmad al Alouani, Abou Bakr Al Baghdadi (le calife Ibrahim), Abou Abdel Rahman Al Biblaoui et Hajji Bakr.
Le Califat de Da’ech, prologue

Scandinavian Institute for Human Rights, 2014 Rapport du SIHR préparé par Haytham Manna Adaptation française : René Naba Éditions SIHR et Eurabe en collaboration avec le site Madaniya.info ISBN : 2-914595-76-X – EAN : 9782914595766 Scandinavian Institute for Human Rights 1, rue Richard Wagner – 1202 Genève – Suisse sihr.geneva@gmail.comhttp://www.sihr.net Haytham Manna Président de […]

I. LE PROCESSUS AYANT ABOUTI À LA PROCLAMATION DU CALIFAT

Dimanche 29 juin 2014, premier jour du mois sacré du Ramadan, le califat de Da’ech fut proclamé sur l’ancien territoire des deux premiers empires arabes (Omeyade en Syrie et Abbasside en Irak). Au-delà de la portée symbolique de cet événement dans l’ordre religieux et politico-historique mondial, ce califat a radicalement bouleversé les données de l’échiquier régional.

Faut-il y voir l’aube d’une nouvelle renaissance panislamique, la nostalgie d’une grandeur révolue ou une pathologie passéiste ? Quoi qu’il en soit, dans la foulée de l’irruption des djihadistes sunnites sur la scène irakienne, l’instauration de ce prétendu cinquième califat de l’histoire musulmane a démantelé la cohabitation et la coopération djihadiste, accéléré le processus d’indépendance du Kurdistan irakien et, de surcroît, donné aux djihadistes sunnites accès aux gisements pétroliers.

Ces trois facteurs font planer un sérieux risque de partition de l’Irak et placent désormais ce pays à l’épicentre du conflit transrégional ; une migration intervenue après 4 ans de guerre en Syrie en ce que les gages territoriaux engrangés par Da’ech en Irak devraient constituer dans son esprit la revanche à ses revers successifs en Syrie.

Sur le plan rituel, le nouveau calife Ibrahim, de son nom de guerre Abou Bakr al-Baghdadi, cumule avec autorité pouvoir politique et spirituel sur l’ensemble des musulmans de la planète. Une posture qui le hisse au rang de supérieur hiérarchique du Roi d’Arabie, le gardien des lieux saints de l’Islam (la Mecque et Médine), d’Ayman Al Zawahiri, le successeur d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al Qaida ainsi que du président de la Confédération mondiale des oulémas musulmans, Youssef al-Qaradawi. Une belle audience califale en perspective !

Si les précédents califats ont eu pour siège des métropoles d’empire – Damas, Bagdad, Le Caire (Fatimide) et Constantinople (Ottoman) –, le dernier venu a établi son pouvoir dans une zone quasi désertique à proximité toutefois des gisements pétroliers générateurs de royalties, les nerfs de sa guerre. De même, sur le long chemin du djihad, des Émirats islamiques ont été institués au Kandahar (Afghanistan), à Falloujah (Irak) et au Sahel, mais aucun n’a jamais songé à choisir Jérusalem pour capitale. Le djihad en tant que libération des lieux saints est bien loin des préoccupations de ces joyeux guerriers.

Ce bouleversement symbolique dans la hiérarchie sunnite sur fond d’exacerbation du caractère sectaire de la rivalité sunnite-chiite a modifié sensiblement les termes du conflit : la surenchère intégriste des islamistes sunnites a opéré un retournement de situation qui a placé en porte-à-faux leurs bailleurs de fonds, principalement l’Arabie Saoudite, qui pourrait pâtir de ce débordement rigoriste et en payer le prix au titre de dommage collatéral.

Pour surprenant que cela puisse paraître, le califat de Da’ech a eu le grand mérite d’agir comme révélateur en ce qu’il a brisé les codes de la guerre asymétrique précédemment en vigueur et en ce qu’il a réussi en une opération éclair (un blitzkrieg), à réaliser en trois semaines la jonction entre la Mésopotamie et l’Euphrate. Chose que 40 ans de magistère baasiste, tant en Irak qu’en Syrie, n’ont pu accomplir à cause des guerres picrocholines entre les frères ennemis du Baas, Saddam Hussein et Hafez al-Assad.

En une vingtaine de jours, sous la bannière de Da’ech, les insurgés sunnites se sont emparés de larges pans de territoire dans le nord et l’ouest de l’Irak. Dans la pure tradition d’une charge de brigades légères, motorisées toutefois, mais sans armement massif, ni aviation ni drones, ils ont ainsi ouvert dans l’ouest du pays une voie vers la Syrie en s’emparant du poste-frontière de Bou Kamal, pendant de celui d’Al Qaïm qu’ils contrôlent déjà, à la faveur d’une entente locale avec Al Qaida.

Curieux cheminement, au passage, que celui des baasistes irakiens (une des composantes de l’ISIS) : plutôt que d’opposer un front idéologique avec leurs frères baasistes syriens, ils ont rallié leur ancien bourreau saoudien, la caution arabe et musulmane de l’invasion américaine de l’Irak, abandonnant à son sort le pouvoir syrien, qui fut leur plus ferme soutien dans la guérilla antiaméricaine en Irak et s’attira à ce titre les foudres de Washington par la « Syrian Accountability Act », en 2003.

Depuis la proclamation de l’État islamique d’Irak et en Syrie (Da’ech), l’auteur de ce rapport s’est appliqué à procéder à une analyse de ce phénomène en profondeur avec toute l’objectivité et la rationalité requises, selon une grille de lecture intégrant les critères de démocratie civile, sans concession ni complaisance à l’égard de toute atteinte aux droits de l’homme et à la dignité humaine tant il est vrai qu’« il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre ».

En mars 2013, l’auteur a soulevé la question de l’enlèvement de deux évêques en Syrie auprès d’un opposant syrien drapé de démocratie. Sa réponse, sidérante, consistait à imputer cet acte crapuleux à un « groupement tchétchène dépêché en Syrie par les services russes opérant en sous-traitance auprès des services de renseignements syriens ». Ah, la perversion des esprits…

« Cet entretien fut le dernier entre nous. Je n’ai plus jamais voulu le revoir. Que dire, en effet, quand des personnalités accréditées de l’opposition syrienne au sein du Groupe des amis – ennemis – de la Syrie assurent sans sourciller qu’Abou Omar al-Shishani est un agent des services russes, feignant d’ignorer ou ignorant tout simplement qu’il avait combattu les Russes en Géorgie avant de migrer vers la Syrie. D’autres se vantaient de pouvoir anéantir Da’ech en 48 heures. »

Un témoignage terrifiant en résonance avec les analyses de la chaîne saoudienne Alarabia. Des propos qui révèlent, en contrepoint, le degré de superficialité des analystes, leur avilissement moral, leur appétit immodéré pour les subsides, adoubés néanmoins malgré ses handicaps comme « représentant unique du peuple syrien » par un groupe de six parrains régionaux et internationaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie, États-Unis, France, Grande-Bretagne). Un clan de peu de poids comparé à celui d’en face, résolument engagé dans le djihad et dans son projet d’édifier un califat sunnite, représentant unique sur terre.

Paradoxalement, les débats les plus pertinents se sont déroulés au sein de Da’ech, de Jobhat An Nosra et d’Ahrah As Sham, parce qu’ils avaient été nourris de l’expérience d’Al Qaida dont ils furent formés dans le même moule djihadiste. De sorte que ni Abou Mohamad al-Joulani[1] ni Abou Marya al-Qahtani n’étaient en mesure de mettre en cause les sources de financement de leurs rivaux ou de les accuser de servitude à l’égard des services syriens ou irakiens.

L’insistance du régime syrien à privilégier l’option militaire et sécuritaire, de même que l’inclination du régime irakien à emprunter la même voie, en superposition à la faillite de la politique des puissances régionales et occidentales sur ce dossier – activement relayés d’ailleurs par des Syriens de petite envergure et des entremetteurs animés par la haine –, ont tué dans l’œuf un soulèvement civil populaire prometteur. Au prix d’ailleurs de la destruction d’un pays et de la dislocation d’un peuple.

Alors que Robert Ford, émissaire spécial des États-Unis auprès de l’opposition syrienne off-shore, dissertait devant moi à en perdre haleine sur les relations entre les Unités de protection du peuple et le régime syrien, alors que la Turquie favorisait la commercialisation du pétrole prélevé frauduleusement en Syrie avec la caution de l’Union européenne, Da’ech avait déjà réglé depuis belle lurette l’épineux problème de la diversification de ses sources de financement. Le califat se dégageait par là une marge de manœuvre considérable pour l’autonomie de son pouvoir décisionnaire, y compris à l’égard de ses financiers salafistes pétro monarchiques, ses principaux pourvoyeurs en hommes et en argent. Et pendant que les dirigeants de la coalition off-shore s’égosillaient à réclamer des armes performantes pour combattre plus efficacement le régime syrien, Da’ech se ravitaillait directement sur les stocks d’armes de Raqqa et de Mossoul.

Quand le Qatar et l’Arabie Saoudite ont voulu se doter de groupements spécifiques de djihadistes pour les besoins de leur politique, Da’ech a décidé d’engager un combat frontal, une guerre ouverte contre les groupements rivaux en gestation, sans le moindre égard pour leur ancienne fraternité d’armes.

Les liquidations extrajudiciaires de dirigeants djihadistes opérées par le régime syrien sont infinitésimales par rapport aux pertes subies du fait des guerres intestines inter-djihadistes puisque les uns et les autres étaient avisés des forces et faiblesses des groupements rivaux et agissaient en conséquence. Les membres d’une même famille sont mieux avertis des problèmes en son sein, quand bien même les rapines des brigands ont révélé bon nombre de faits qu’ils s’étaient évertués à dissimuler.

A – Les mérites de Da’ech

Le mérite de Da’ech est d’avoir mis à nu les légendes préfabriquées par la chaîne Aljazeera, depuis la première opération du Front An Nosra contre la base aérienne d’Alep couverte par Ahmad Zeidan, tout comme la sanctification médiatique d’Abou Mohamad al-Joulani à laquelle s’est livrée Tayssir Alouny, de même que l’occultation par la chaîne qatarie de tous les crimes commis par An Nosra dans une pitoyable réédition de la couverture du conflit d’Irak.

Le fait qu’Abou Mohamad al-Joulani, le chef de Jobhat An Nosra en personne, dénonce la dilapidation d’un milliard de dollars par les djihadistes eut un effet catastrophique sur le cours de la bataille et un impact désastreux sur l’opinion : des dizaines d’enfants mouraient alors de faim dans les camps de réfugiés, et d’anciens marxistes jadis respectables soutenaient, au même moment, sans sourciller, la pureté de l’engagement des membres d’An Nosra et leur désintéressement.

Da’ech a démasqué le discours populiste des Frères musulmans initié en premier lieu par Hassan al-Banna, le fondateur de la confrérie, et repris par Sayyed Qotb et Youssef al-Qaradawi, lesquels soutenaient en chœur que l’Islam est tout à la fois une religion, une idéologie, un État, une loi, un mode de vie, une science, une morale, une identité, une nation, une politique, une économie, une armée et des services de renseignement. Ces affirmations péremptoires selon lesquelles « l’Islam est la solution » engourdissaient l’opinion alors que la confrérie exerçait son emprise sur la société et se permettait ce qu’elle ne permettait pas aux autres. Autrement dit, elle s’octroyait des libertés qu’elle n’autorisait pas aux autres – avec tout ce que cette idéologie a servi de prétexte et de justification à l’extrémisme en Syrie et en Irak.

Da’ech nous a ainsi épargné la lecture de dizaines d’ouvrages sur la notion de « retour vers le passé » en vue d’édifier un califat sur le modèle de la prophétie, en ce que son comportement a traduit concrètement sur le terrain le concept de la Jahiliya – c’est-à-dire l’ère préislamique, préconisée par Sayyed et Mohamad Qotb –, faisant prévaloir sa propre interprétation des faits dans un sens favorable à ses thèses, pour en faire la justification de ses crimes, ses turpitudes et leur comportement rétrograde.

Da’ech a également démasqué le subterfuge consistant à instrumentaliser la religion en tant que stratégie de conquête de pouvoir. Jusque-là, cette stratégie était demeurée dans l’ordre implicite et indicible. Da’ech – et non un intellectuel critique – a fait voler en éclat le sacro-saint principe de gouvernance divine (alhakimyya) en traduisant in situ la notion d’obscurantisme en vigueur dans l’ère préislamique. Alors même que le califat a rétabli la pratique de l’ostracisme au sein des sunnites, et a transformé la sauvagerie et la violence en mode de vie.

Au fil des événements, le constat est amer : comment, au nom de la Révolution, avoir sapé les fondements de la révolte en imputant la totalité des responsabilités au régime alors que les fautes s’accumulaient, au point que la réponse était toujours identique, inlassable leitmotiv : « La faute au régime ». Le disque rayé a continué de diffuser sa rengaine, sans que nul ne se soit donné la peine de reconsidérer sa position, de procéder à un réexamen de son comportement.

Pathétique inversion, le fait décisionnaire concernant la Syrie n’est pas demeuré aux mains des Syriens. Il fut cédé à autrui pour que soient forgées les décisions relevant normalement de la volonté syrienne. L’armement de la Syrie a été confié à des non-Syriens, à des pouvoirs établis hors du territoire national aux contours flous.

Ma mise en garde, en date d’août 2011, était pourtant empreinte d’une grande clarté : « La militarisation de l’opposition entraînera inéluctablement la radicalisation et la confessionnalisation du conflit. » Notre proposition d’établir une cloison hermétique entre les partisans de la transformation démocratique et les partisans des projets obscurantistes suscita un tollé.

Un des nombreux autres mérites de Da’ech réside dans sa parfaite connaissance des Mouhajirines (les migrants de la guerre djihadiste), de leur niveau intellectuel et politique limité de même que de leur conscience religieuse, leurs problèmes personnels et leurs objectifs qui en ont fait des êtres à vocation suicidaire. Da’ech a traité ses migrants à la manière du bétail, leur offrant en guise d’appât l’argent et le sentiment de puissance. L’objectif était simple : viser la tête pour que le troupeau suive, et les meilleurs signeront leur ralliement à notre cause.

Il est indéniable que les anciens officiers de l’armée irakienne ont joué un rôle primordial dans le recrutement des volontaires et l’enrôlement d’étrangers dans le combat pour l’édification du califat.

B – Les copulations bâtardes

L’alchimie fusionnelle entre les anciens officiers irakiens de l’armée baasiste et Al Qaida est le fruit d’une copulation bâtarde opérée dans les prisons américaines d’Irak. Au commencement était donc Al Qaida : une organisation militaire et politique dotée d’un grand potentiel, bénéficiant d’un soutien américain et pétro monarchique et fortement engagée dans une guerre contre l’occupant soviétique en Afghanistan. Ce conflit fait l’effet d’un aimant sur l’ensemble des Moudjahidines de la planète, et produit un effet fédérateur en ce qu’il a donné la possibilité à des groupuscules salafistes opérant nationalement, à petite échelle sur un plan local, d’accéder au rang de forces de frappe transfrontière.

Point n’est besoin de revenir sur les points soulevés dans notre précédent ouvrage (Le Salafisme, les Frères musulmans et les droits de l’homme). Il importe toutefois de rappeler le halo de sacralité qui entourait quiconque se réclamait alors du djihad contre les athées, les communistes, les infidèles et les dictateurs.

La fin de la guerre d’Afghanistan et l’implosion de l’Union soviétique ont entraîné la fin du blanc-seing djihadiste octroyé par les commanditaires à leurs commandités en ce qu’il importait pour les États parrains de se prémunir des répercussions de cet engagement sur leur sol. De « Moudjahidines de la Paix », les voilà réduits au statut d’indésirables, lesquels n’entendaient pas, loin de là, assumer la fonction de victimes sacrificielles.

Ces nouveaux indésirables s’étaient forgé une légende, et leurs tuteurs n’étaient plus en mesure d’en faire abstraction. Encore moins de les contenir. Ces djihadistes avaient la conviction ancrée qu’ils avaient mis fin à la guerre froide en même temps qu’à la présence communiste en terre d’Islam. La fin du communisme ne signifiait pas la fin du djihad. Au fil des alliances et au gré des guerres – Tchétchénie, Bosnie, Algérie –, les vétérans d’Afghanistan se sont éparpillés, en fonction des soutiens dont ils bénéficiaient ou des refuges dont ils disposaient.

Les services pakistanais, les premiers, se sont employés à restaurer leur influence en Afghanistan en soutenant les talibans pachtounes, parallèlement à une démarche similaire d’Oussama Ben Laden visant à regrouper les anciens salafistes djihadistes de la guerre antisoviétique en Afghanistan, sur le terrain de leurs exploits et de leur légende, considérant le pays des talibans comme un terrain d’entraînement propice et un lieu sûr pour leur refuge.

La société irakienne, dans toutes ses composantes, était la plus étrangère à la question afghane, ayant été impliquée par ses gouvernants,volens nolens, dans des guerres coïncidant avec la séquence afghane (guerre irako-iranienne de 1979 à 1989, invasion du Koweït en 1990). Ployant sous le joug des sanctions internationales, elle a ainsi été épargnée de la jouissance du tourisme djihadiste.

À dire vrai, les salafistes et les Frères musulmans ne constituaient pas une priorité pour Saddam Hussein puisque le pouvoir irakien à cette époque était davantage polarisé par les manœuvres américaines concernant son éventuelle possession d’armes de destruction massive. Les Frères musulmans et les salafistes ont ainsi pu s’installer en Irak à la faveur du désordre consécutif à l’invasion américaine du pays, en 2003, et des décisions désastreuses de Paul Bremer, premier proconsul américain en Irak, concernant le démantèlement des forces armées et l’éradication du parti Baas.

Ces deux mesures qui ont sapé le fondement de l’État irakien ne se sont heurtées ni à l’opposition des Kurdes, qui sont parvenus à préserver leur force d’autodéfense (les Peshmergas), ni à celle des partis chiites qui y ont vu l’occasion de reconstituer la nouvelle armée irakienne sur la base de l’adjonction-injection des anciens combattants chiites basés en Iran, auparavant engagés dans la guerre irako-iranienne, du côté de l’Iran.

À ce titre, les forces d’invasion américaines assument une responsabilité majeure dans la création des conditions objectives à la constitution de vastes regroupements armés hors de leur contrôle en ce que les États-Unis se sont appliqués à éradiquer et à démanteler méthodiquement tout ce qui avait un rapport direct ou indirect avec l’ancien pouvoir baasiste irakien. En un mot, à vider l’appareil d’État de sa substance.

Les chiites avaient pour objectif principal de faire cesser l’injustice dont ils avaient été l’objet sous l’ancien régime. Ils n’étaient porteurs d’aucun programme de portée nationale, d’aucun projet de citoyenneté nouvelle. Ils ont privilégié une conception communautariste du pouvoir d’État, avec ses implications en ce qui concerne la répartition des postes selon des critères confessionnels à l’effet de générer un fanatisme clanique à fondement religieux.

Le bagage intellectuel d’Abou Mouss’ab al-Zarkaoui, tant sur le plan politique qu’idéologique, ne le prédisposait pas à un rôle dirigeant dans la lutte contre les forces d’occupation. Par substitution, phénomène classique en psychanalyse, il a compensé son inconsistance intellectuelle par une férocité militaire dans les combats.

L’homme se vivait comme détenteur de la vérité absolue, animé de la capacité d’imposer cette vérité à son entourage et habile à masquer ses faiblesses en diabolisant ses rivaux. Dans cette perspective, il a réactivé l’ancienne stigmatisation des chiites en remettant à l’honneur le terme de « renégat » pour les désigner de ce qualificatif et leur faire assumer la responsabilité de l’état de dégradation de l’Irak, de l’éloignement des sunnites de leur religion et… du pouvoir !

Cette stratégie rudimentaire lui a permis de mobiliser les frustrations comme levier de recrutement et de mener à bon compte des opérations aussi bien contre des objectifs civils que militaires, les enfants que les adultes, les femmes que les hommes. Toute pensée qui ne se réclamait pas du salafisme djihadiste était considérée comme relevant de la traîtrise.

Un quart de siècle de bouleversements dramatiques – une guerre de 10 ans contre l’Iran, suivie de l’invasion du Koweït, de deux guerres, d’une importante coalition internationale sur fond de blocus permanent pendant 20 ans – a profondément modifié le paysage irakien, opérant un bouleversement radical du schéma mental et des repères de la société, donnant libre cours, dans une lutte pour la survie individuelle, à l’exacerbation des antagonismes ethnico-religieux, voire à un début de sauvagerie.

Pour les besoins de sa cause, l’administration américaine a jugé bon de promouvoir « ennemi numéro 1 » le groupe d’Abou Moussab al-Zarkaoui. Toutefois, focaliser l’attention sur ce groupe djihadiste a eu pour effet secondaire de marginaliser les autres groupes de résistance aux yeux de l’opinion irakienne et arabe, et de reléguer au second plan les crimes politiques, administratifs et militaires qui se commettaient à ce moment-là sur l’ensemble du pays.

L’éradication de l’armée irakienne d’officiers confirmés, avec la privation de salaires qui s’est ensuivie, a poussé bon nombre de gradés à rallier les groupes les plus fanatiques et les plus résolument hostiles au processus de refondation de l’État irakien selon le schéma américain.

La coordination entre Al Qaida et ce groupe d’officiers marginalisés a commencé très tôt. La raison en est simple : le groupement djihadiste souhaitait tirer profit de l’expertise de ces officiers rompus aux combats, désormais désœuvrés mais dotés d’une expérience certaine (tant en ce qui concerne la topographie des zones de déploiement américain que par leurs réseaux de solidarité. Le rapprochement idéologique est intervenu à l’occasion de leur séjour commun dans des camps américains. L’alchimie fusionnelle entre les anciens officiers irakiens de l’armée baaasiste et Al Qaida est le fruit d’une copulation bâtarde opérée dans les prisons américaines d’Irak, à l’ombre de l’occupation occidentale de l’Irak.

Da’ech relève de la « génération de la triplette maudite » traumatisée par les guerres successives de Saddam Hussein, par le châtiment collectif infligé à sa population par le blocus international de l’Irak – l’un des pires de l’histoire contemporaine – et, enfin, par la présence américaine, la plus idiote occupation de l’histoire américaine.

Cette conjonction maléfique de trois éléments, schéma identique à celui vécu au quotidien par les habitants de Gaza, a généré au sein de la population irakienne un fort sentiment de nihilisme. L’État irakien se retrouvait en effet réduit à un État précolonial de régression, faisant voler en éclat tout lien de solidarité sociale et de cohésion nationale et tout lien avec la modernité. La modernité se réduisant ici aux transactions d’armes, à l’acquisition de matériel de torture, à la dilapidation des richesses nationales, physiques et humaines, et à l’arbitraire du pouvoir.

Le lourd endettement public aura été la résultante première de cette civilisation. Ni le pétrole ni l’important arsenal militaire dont disposait le pays n’a pu suggérer aux Irakiens l’idée qu’ils appartenaient à cette civilisation, et encore moins susciter en eux le sentiment d’éprouver une certaine forme de dignité humaine. Bien avant que ne se réalise cette triangulation maudit, le poète irakien Badr Chaker al-Sayyab avait rédigé à ce propos un poème intitulé « La prostitué aveugle ». Au terme de cette séquence surchargée d’épreuves pour les Irakiens, la culture s’est dissipée, et la presse exténuée a laissé place à un désert culturel. Les mots sont devenus impuissants à décrire la catastrophe dans laquelle vivait humainement la société irakienne.

Lors de ma mission en Irak, en juin 2003, je devais rencontrer le représentant des Nations unies en Irak, Sergio Mello, tué par la suite dans un attentat. Le chauffeur qui me conduisait à mon rendez-vous m’interpella en ces termes : « Les Nations unies ont participé au meurtre d’enfants de mon village, par la faim et la maladie. Sera-t-elle en mesure d’expier, un jour, les péchés qu’elles ont commis à l’encontre de notre peuple ? » Il faisait clairement allusion à l’embargo imposé par l’ONU à l’Irak dans la décennie 1990-2000.

Ce chauffeur n’était pas originaire de la province sunnite d’Al Anbar mais d’un village chiite du sud de l’Irak. Il s’est porté volontaire pour me convoyer à Falloujah, le fief sunnite, peu de temps avant les massacres commis par les forces d’occupation américaines. Il vivait au jour le jour pour assurer prioritairement la subsistance de ses enfants, sans perspective quant à la fin de son cauchemar, sans illusion qu’il prenne d’ailleurs fin un jour, et sans la moindre idée non plus de la date à laquelle il verrait le bout de ce tunnel obscur dans lequel s’était engagé l’Irak depuis la fin de la décennie 1970.

Le plus grand crime a sans doute été commis par la classe politique irakienne : toutes ses composantes auront constamment recherché des boucs émissaires à ses abus et ses dérives. Il en a été ainsi avec l’opposition qui s’est engagée dans une politique vindicative, dès son retour au pays, accusant les réfugiés palestiniens d’avoir soutenu Saddam Hussein avec les mesures de rétorsion inhérentes à la situation, et engageant dans la foulée une politique d’éradication du Baas de toutes les structures de l’État. Il en sera de même avec Da’ech, comme le prouve sa décision de nettoyer Mossoul, ville de cohabitation du nord de l’Irak, de sa population chrétienne et sa tentative d’épurer l’Irak de sa population de confession Yazédite.

Par tous les moyens disponibles, sous les prétextes les plus fallacieux, les divers protagonistes de la scène irakienne ont donc puissamment contribué, chacun à sa façon, à créer les conditions propices à un déchaînement de violence irrépressible, déblayant la voie à la sauvagerie et à la barbarie. La technique du forage a ainsi été promue instrument de torture – le percement des os des prisonniers est un supplice courant dans les caves des milices faisant office de prisons, et la décapitation est le moyen d’exécution le plus économique chez les takfiristes. En tout état de cause, le droit à la vie a été nié, au même titre que le droit de disposer en toute sécurité de son corps et de son âme, dans un monde où la mort rôdait sans relâche dans tout village, quartier, rue ou individu.

C – La schizothymie de Da’ech

L’État islamique d’Irak a fondé sa cohésion interne en développant le fanatisme parmi ses membres ainsi qu’en ancrant un comportement de type terroriste dans son sein et par ses actions extérieures. Fanatisme et terrorisme auront été le ciment de l’unité du mouvement.

Il n’était pas possible, en effet, d’accéder à une prise de conscience, de détenir la vérité absolue, d’avoir réponse à toute question, d’anticiper les décisions, de tuer le doute et de subvertir la morale sans faire table rase du passé, sans opérer une césure avec le passé personnel des membres de ce groupement, autrement dit sans couper le cordon avec la matrice originelle, Al Qaida d’Oussama Ben Laden.

Comme cette opération de lavage de cerveau n’a pas eu lieu, il importait de préserver les apparences de la pureté en commanditant des actions d’éclat destinées à impressionner les adhérents nouveaux ou anciens, les rivaux et adversaires, le monde interne et le monde externe au mouvement. Des opérations spectaculaires à fortes retombées médiatiques : destruction des lieux de culte (aussi bien les mosquées que les églises), des statues et des échoppes de tabac, recours à la lapidation en public, à la crucifixion et à la décapitation, couplée d’une prise de photo avec les têtes décapitées.

Le caractère schizothymique de Da’ech s’est révélé dans des pratiques narcissiques : arbitraire du pouvoir, opportunisme, vol, meurtre, enlèvement, vengeance, attaque contre les sanctuaires, tendance à stigmatiser publiquement, sans vergogne, quiconque se dresse sur son chemin. L’hostilité aveugle à la modernité, matérialisée par le recours abusif à l’explosif et à la simulation d’un monde virtuel, a constitué la riposte primitive et primaire des takfiristes irakiens et de leurs riches compères des pays du pétrole et du gaz.

D – L’Arabie Saoudite : un État schizophrénique

La schizophrénie dans laquelle baigne l’Arabie Saoudite a permis la résurgence du phénomène djihadiste de type afghan. En balançant entre ouverture économique et fermeture sur le plan politique, entre libéralisme (liberté des marchés) et verrouillage hermétique, sur le plan politique interne, stérilisant toute pensée, en superposition à la pollution wahhabite des divers aspects de la vie intellectuelle, artistique et sociale du Royaume, l’Arabie Saoudite a contribué à faire prospérer en force le djihadisme sur son sol.

La dynastie wahhabite condamnera ainsi à 15 ans de prison un avocat, Walid Abou El Kheir, pour avoir défendu un prisonnier accusé de blasphème. Crainte d’une contamination populaire ou de la généralisation d’un comportement séditieux ? En tout cas, le verdict a été prononcée, le 6 juillet 2014, la veille de la conquête de Mossoul par Da’ech, alors que des témoignages dignes de foi mentionnaient la présence de plus de deux cents Saoudiens dans les rangs de Da’ech au cours de cette opération.

Youssef Qaradawi, le mufti du Qatar, qualifiera ce mouvement de « révolution populaire », omettant toutefois de réclamer, cette fois, l’intervention de l’Otan pour la défense de ces « révolutionnaires » d’un type particulier.

Plus de cinq mille Saoudiens, Qataris et Koweïtiens ont été tués en moins de 5 ans, non pour édifier le califat dans leur pays, mais pour instaurer un califat en Irak et en Syrie. Peut-on considérer l’exportation des djihadistes saoudiens vers d’autres pays – moyen commode de s’en débarrasser sous couvert de djihad – comme un succès des services saoudiens dans le démantèlement d’Al Qaida en Arabie ? Ou comme une réussite en vue de la déstabilisation des pays concernés ? La réponse reste en suspens, le royaume saoudien étant désormais silencieux depuis le raid djihadiste du 11 septembre sur les symboles de l’hyperpuissance américaine réalisé par un commando de dix-neuf membres dont quinze de nationalité saoudienne.

Quelle est la responsabilité des services de renseignements de ces deux pays wahhabites (Qatar, Arabie Saoudite) dans les événements qui se déroulent dans les pays voisins ? Quel rôle a joué le gouvernement de M. Recep Tayyeb Erdogan dans le transit, via la Turquie, de milliers de takfiristes vers les champs de bataille des pays voisins ? Comment s’est produite la campagne de mobilisation de l’opinion et le ciblage de Bagdad et de Damas, loin de La Mecque, de Médine et de Jérusalem ?

Nul doute que les opérations d’enrôlement et d’instrumentalisation du courant djihadiste takfiristes sont le fait de multiples réseaux aux connexions multiples. Et il est absolument impossible de faire croire à un être doté d’un minimum de raison que la restauration du califat dans la banlieue de Damas, dans le secteur de la Ghoutta orientale, ait été préconisée par la prophétie musulmane. La motivation principale de ces migrations relevait plutôt d’une pulsion morbide : ces djihadistes étaient porteurs d’un projet de mort, faute de disposer d’un projet de vie.

Difficile donc d’établir une démarcation entre le combattant irakien et l’étranger venu des quatre coins de la planète, accouru pour accomplir le djihad au service de Dieu.

Le cas d’Abou Moussab al-Zarkaoui s’est reproduit à l’identique en Tunisie, où le gouvernement de la Troïka a fermé les yeux sur le départ des djihadistes en Syrie car ils n’avaient rien d’autres à offrir à leur peuple.

Un ancien combattant, revenu de ses illusions, m’a confié ses mésaventures en ces termes : « Dans leur schéma mental, le “noussayri [2]” est tout soldat ou fonctionnaire du gouvernement de Bachar al-Assad. Un impie, un diable des temps modernes, dont il importe de débarrasser la planète de la présence et des souillures qu’il inflige au monde. Une condition sine qua non pour “le retour de l’Islam en terre d’Islam”. » Ce même homme a fini par demander l’asile politique en France après le démantèlement de son unité par Jobhat An Nosra.

La « société du spectacle », chère à Guy Debord, porte une lourde responsabilité dans la production de l’extrémisme et l’exaltation de la violence. Quel autre groupement que le mouvement marginal « Migration et djihad », situé hors du système capitaliste, pouvait accaparer les grands titres de l’actualité internationale et propulser avec facilité des individus déconsidérés de leur voisinage et répondant, qui plus est, à des prénoms banalement courants – Maho, Rachid ou Selim – pour rebondir sur la scène internationale avec des noms « mythiques » tels que Abou al-Barra’a al-Belgiki, Abou Lukman al-Almani ou Abou Mohamad al-Farançi, ou encore Abou Oussama al-Britanni.

La notoriété apportée par les médias confère à son titulaire un rôle de « héros » avec toute l’attractivité inhérente à ce statut. Ces migrants n’omettent jamais de rappeler, en toutes circonstances, qu’ils ont déserté « la démocratie criminelle, la laïcité renégate, en vue d’un califat qui réinsère les gens dans leur religion ou vers un martyr qui leur donne accès au royaume des cieux ». Nul migrant ne s’est posé la question jadis soulevée par Albert Camus (Les Justes) : « Faut-il que des fleuves de sang coulent aujourd’hui pour pouvoir édifier demain la justice ? Devons-nous nous transformer en meurtrier pour nous doter d’un système social meilleur ? ».

« Faut-il que des fleuves de sang coulent aujourd’hui pour pouvoir édifier demain la justice ? Devons-nous nous transformer en meurtrier pour nous doter d’un système social meilleur ? »Albert Camus – Les Justes

La certitude puérile de détenir la vérité absolue dispense l’assassin de s’interroger sur le nombre de victimes et sur les modalités de leur exécution, parce qu’il considère la vie ici bas comme une étape dérisoire par rapport à la vie éternelle dans l’au-delà.

À travers l’étude de l’expérience de Da’ech, des cellules d’Abou Mousa’ab al-Zarkaoui au califat d’Al Baghdadi, la conviction s’est forgée de l’impérieuse nécessité de se pencher sur le parcours personnel des individus, tant leur influence a été déterminante sur la structure du groupe et sur sa formation idéologique. L’idéologie, dans ce cas précis, n’a pas été déterminante, alors que la complexion humaine des décisionnaires l’a été. Difficile de considérer comme décisive l’influence de l’idéologie sur le comportement des détenteurs du pouvoir décisionnaire dans le djihadisme contemporain.

Le bouillonnement spectaculaire que dégagent les acteurs du djihadisme contemporain, souvent avec théâtralité préméditée, résulte tout simplement du fait qu’ils portent en eux des pulsions destructrices. Ils ne proposent pas un quelconque projet créateur en vue de procéder à une reconstruction d’un monde à la destruction duquel ils ont largement contribué. Ainsi que le rappelait Richard von Weizsäcker, Président de la République fédérale allemande de 1984 à 1994 : « Au xxe siècle, souvenons-nous en, les États ont failli à l’époque du nazisme et du fascisme, en cédant sous la pression de groupuscules minoritaires. »

II. MONOGRAPHIE DES FIGURES DE PROUE DE LA SCÈNE IRAKIENNE

A – Le précurseur : Abou Mouss’ab al-ZarkaouiB – Abou Omar al-Baghdadi : l’incarnation des dérives d’une idéologie nationalisteC – Abou Bakr al-Baghdadi : le concepteur d’un projet d’État

Ahmad Fadel Nazal al-Khalayla, de son nom de naissance, est un Jordanien sunnite originaire d’Al Zarka, né en octobre 1966 au sein d’une fratrie de dix membres (sept frères et trois sœurs). À l’adolescence, orphelin de père, un employé municipal, il déserte l’école et rallie un gang de jeunes et, à 19 ans, il glane sa première condamnation pour « possession de stupéfiants et agression sexuelle ». Ses proches passent généralement sous silence cette période qui a précédé son départ pour l’Afghanistan, pourtant fondatrice de son psychisme.

En 1989, à 23 ans, il se rend pour la première fois en Afghanistan pour rejoindre les rangs des Arabes afghans en vue de combattre l’invasion soviétique de ce pays musulman. Quoique son arrivée ait coïncidée avec le début du retrait de l’Armée rouge, son déplacement ne fut pas vain. Il participe ainsi au siège de Khost. À Peshawar, la base arrière des Moujahiddines à la frontière pakistanaise, où il se replie, il rencontre Abou Mohamad al-Makdessi. Cet universitaire religieux sera son premier tuteur salafiste djihadiste.

À son retour en Jordanie, en 1992, le tandem fonde le groupe salafiste Bay’at Al Imam (« L’acte d’allégeance à l’imam ») mais sera arrêté un an plus tard pour possession d’armes et d’explosifs et falsification de passeports. Condamné à 15 ans de prison, il met à profit cette longue détention en compagnie de son compère Makdessi pour se plonger dans l’étude du Coran. Il en mémorisera les six mille versets et s’appliquera, parallèlement, à gommer son passé délinquant en brûlant ses tatouages à l’acide. Il prend alors un nom de guerre, Abou Moussab al-Zarkaoui, en référence à Moussab Ben Omair, compagnon du prophète mort en 625 à la bataille d’Ouhoud, et à ses racines (al-Zarkaoui voulant dire « originaire d’Al Zarka »).

Libéré en 1999 à la faveur d’une amnistie décrétée à l’occasion du couronnement du nouveau roi Abdallah II de Jordanie, al-Zarkaoui reprend ses activités et projette, pour le passage à l’an 2000, un attentat à la bombe contre un grand hôtel d’Amman. Démasqué, il doit fuir vers le Pakistan en compagnie de sa mère, pays dans lequel elle mourra en 2004.

Polygame, marié à trois femmes, dont une épouse de 14 ans à l’époque (dans la décennie 1990), al-Zarkaoui appartient à la confédération tribale des Khalaylah, de la tribu des Bani Hassan ; des Bédouins disséminés à travers tout le Moyen-Orient, notamment en Syrie et en Irak, qui constitueront la trame de son réseau fidèle et dévoué.

Le Jordanien, originaire du haut lieu de la symbolique révolutionnaire palestinienne et nourri des exploits des Fedayine palestiniens, dont la ville abrite un important camp de réfugiés, se concentrait, lui, sur la dynastie hachémite. En dépit de ses divergences d’approche avec Al Qaida, il bénéficie de leur tolérance et parvient à aménager un camp d’entraînement à Herat, et à fonder son groupe, Tawhid Wal Djihad (« Unification et guerre sainte »).

À l’automne 2001, lors de l’invasion américaine de l’Afghanistan, al-Zarkaoui transite vers le Kurdistan irakien via l’Iran et noue de solides contacts avec Ansar al-Islam, avant de se réfugier quelque temps en Syrie, sous une fausse identité. C’est précisément grâce à l’Irak qu’il accédera à la notoriété internationale lorsque Colin Powell mentionnera son nom. Le secrétaire d’état du Président George Bush Jr. le désignera à l’attention de l’opinion publique internationale comme l’homme ayant assuré la jonction entre Al Qaida et Saddam Hussein, l’un des deux arguments justificatifs – avec la détention d’armes chimiques – à l’invasion américaine de l’Irak, sous couvert de « guerre contre le terrorisme ».

Al-Zarkaoui retourne en Irak après la chute de Saddam Hussein, en 2003, avec l’objectif d’y mener le grand djihad. Il noue des contacts avec les groupements de la résistance antiaméricaine, principalement les milieux baasistes, pour se livrer à une guérilla tant contre les Américains que contre les chiites irakiens, principaux bénéficiaires en termes politiques de l’invasion américaine.

Sous son égide, une spirale de violence multiforme s’enclenche. Elle est inaugurée depuis la Syrie par l’assassinat à Amman du diplomate américain Lawrence Foley et par le dynamitage du siège de l’ONU à Bagdad le 19 août 2003, causant la mort de vingt-deux personnes dont le représentant des Nations unies (le Brésilien Sergio Viera de Mello), suivi dans les 10 jours de l’assaut de la mosquée d’Ali à Nadjaf, sanctuaire chiite, qui a fait quatre-vingt-cinq victimes. Ces violences culminent 9 mois plus tard, le 11 mai 2014, avec la décapitation de deux otages américains, Eugen Armstrong et Nicholas Berg.

Sans ménagement, il s’attaquera aux sanctuaires chiites tant à Najaf qu’à Kerbala, aux pèlerins chiites, aux lieux de culte chrétiens et zaydites. Il n’hésitera pas à organiser un attentat contre le président du Haut conseil islamique chiite, Mohamed Baker al-Hakim, dont la famille avait pourtant été persécutée par Saddam Hussein, le 29 août 2003. Les attentats fomentés contre son groupement à l’occasion de la célébration de la fête chiite d’Achoura, en mars 2004, ont provoqué la mort de deux cent soixante et onze personnes, faisant plusieurs centaines de blessés.

Surnommé le Lion de Mésopotamie, il part envahir Falloujah, ville sunnite au nord de Bagdad, pour y fonder un émirat. Le 19 octobre 2004, son groupement bénéficie du « Label Ben Laden » et prend le nom de Relais d’Al Qaida en Mésopotamie.

En juillet 2005, alors que les Libanais sont traumatisés par l’assassinat de leur ancien Premier ministre, Rafic Hariri, le groupe Zarkaoui exécute un diplomate égyptien, un sunnite, de surcroît allié de Hariri. Cette erreur fatale consommera la rupture du groupe avec son mentor Mohamad al-Makdissi.

Blessé lors d’un bombardement américain dans la localité de Habib, au nord de Bakouba, Zarkaoui aménage sa succession, confiant la relève à un Irakien, Abdel Rahman al-Iraki, lui conférant le titre de vice-émir du groupement. Une direction collégiale se met alors en place, le 15 mai 2006, sous l’autorité d’Abdallah Rachid al-Baghdadi, qui prend pouvoir sur l’ensemble des formations adhérentes : Al Qaida Mésopotamie, les brigades de l’unification, les brigades du djihad islamique, l’armée des sunnites, avec pour objectif « la direction opérationnelle des combats contre l’occupation américaine, leurs agents et les renégats ».

Zarkaoui périra des suites de ses blessures, le 7 juin 2006, à 40 ans. Sa structure de relève ne lui survivra pas. Mi-octobre 2006, soit cinq mois après sa mise en place, elle est absorbée par le « noyau dur » de la coalition, le groupe Abou Omar al-Baghdadi, qui s’estimait le plus apte à mener le combat.

III. LES OFFICIERS SUPÉRIEURS IRAKIENS, COMPAGNONS DE ROUTE ET OSSATURE MILITAIRE DE DA’ECH

Abou Bakr al-Baghdadi a constamment eu le double souci de coupler efficacité et fluidité pour assurer la mobilité de son groupement, d’affiner ses capacités opérationnelles, ses performances sur le terrain et son renouvellement par l’afflux constant de nouveaux migrants (les Mouhajirines). S’il s’est préoccupé de doter son armée d’un noyau dur central constitué d’anciens officiers supérieurs irakiens, il a veillé à leur associer des lieutenants en provenance des pays pétromonarchiques pour assurer le ravitaillement de son groupement en homme et en argent.

Au moins douze officiers supérieurs irakiens ont ainsi pu exercer des responsabilités au sein de la structure du commandement djihadiste :

  • le colonel Hajji Bakr, de son vrai nom Samir Abed Hamad al-Oubeidy al-Douleimy (Samir Kleyfaoui)
  • le colonel Abou Abel Rahman al-Biblaoui, de son vrai nom Adnane Ismail Najm
  • le général Mohamad al-Nada al-Joubouri, surnommé « le Berger »
  • le général Ibrahim al-Janabi
  • le colonel Adnane Latif al-Sweydaoui (Abou Muhannad)
  • le colonel Fadel Abdallah A’Fari (Abou Moussalem)
  • le colonel Fadel al-Ayssaoui (Abou Ilyas)
  • le colonel Assi al-Obeidy
  • le colonel Mazen Inahyr
  • le commandant Nabil Aribi al-Mouayni (Abou Afif)
  • le commandant Mohamad al-Hayali (Abou Bilal)
  • le commandant Mayssar Ali Moussa Abdallah Joubouri (Abou Marya al-Qahtani), qui deviendra finalement le légiste général du Front Al Nasra, un poste équivalent à celui de jurisconsulte

Les principaux lieutenants pétro monarchiques, assistés de Koweïtiens dans les fonctions intermédiaires, sont au nombre de trois, dont deux originaires d’Arabie Saoudite et un du Bahreïn :

  • Abou Bakr al-Qahtani (Omar al-Qahtani) [Arabie Saoudite]
  • Ousmane al-Nazeh al-Assiry [Arabie Saoudite]
  • Turki al-Bengali (Turki Ben Moubarak Ben Abdallah) [Bahreïn]

Dans une sorte de répartition des rôles et de divisions des risques, les Turkmènes du clan Tel Affar détiennent la main haute dans le domaine de la sécurité et de la protection rapprochée des dirigeants de Da’ech, alors que le Syrien Abou Mohamad al-Adanani fait office de porte-parole officieux de Da’ech. La ventilation des compétences, établie selon des critères ethnico-géographiques, répondait à six objectifs en fonction des spécialités des pays de provenance :

  1. La définition de la stratégie militaire de Da’ech est principalement assurée par les anciens officiers irakiens ;
  2. Le flux financier et les nouvelles recrues sont confiées aux lieutenants pétromonarchiques (Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït) ;
  3. La stratégie médiatique a été prise en main par un réseau multiforme sous la supervision d’Abou Mohamad al-Adanani, chargé d’amplifier une thématique de violence, de rigueur et de sévérité, afin de propager un sentiment diffus de crainte à l’égard des membres du groupement et de terreur intériorisée pour briser la résistance des récalcitrants à son projet califal ;
  4. La négociation érigée en méthode privilégiée d’approche et de règlement des contentieux avec les tribus et les structures sociales locales – telles les assemblées de famille, les conseils de notables du village –, en vue de les valoriser en tant qu’interlocuteurs et tirer profit de l’expérience des Conseils des tribus en Irak du temps de l’occupation américaine ;
  5. L’inflexibilité à l’égard de tout groupement djihadiste désireux de coopérer avec Da’ech, dont l’adhésion éventuelle au groupement devait se faire sur la base des conditions d’Abou Bakr al-Baghdadi ;
  6. L’intransigeance dans le traitement des zones à population non sunnite, en vue d’épurer l’environnement du groupement de tout élément hostile ou de tout motif de contestation.
A – Abou Abdel Rahman al-Biblaoui : chef du conseil militaire et maître d’œuvre de l’assaut contre la prison d’Abou GhoraibB – Le colonel Hajji Bakr : le plus important recruteur d’officiers baasistes pour le compte de Da’ech, en charge des armes chimiquesC – Abou Ayman al-Iraki : le plus important responsable de Da’ech en Syrie, l’assassin de son contestataire Abou Bassir at-TartoussiD – Abou Ali al-Anbari : professeur de physique, ancien cadre dirigeant du parti Baas et ordonnateur de l’assassinat du cheikh Mohamad Said Ramadan al-BoutyE – Abou Mohamad al-AdananiF – Abou Hamza al-MouhajerG – Omar al-Shishani: un vétéran des guerres d’indépendance de GéorgieH – Les officiers de l’armée irakienne dissoute

Adnan Ismail Najm ou, selon les besoins du moment, Aboul Barr’a ou Abou Oussama al-Biblaoui, est né en 1973, dans la province d’Al Anbar. Diplômé de l’Académie militaire, session 77, il a été affecté à la garde présidentielle irakienne, la troupe d’élite du régime baasiste chargée de la défense du périmètre de sécurité du palais de Saddam Hussein, devenu depuis le siège de l’ambassade des États-Unis en Irak.

Une fois commandant, il devient le bras droit d’Abou Mouss’ab al-Zarkaoui, chargé de fixer les rendez-vous du dirigeant djihadiste avec ses interlocuteurs et d’aménager les conditions de sécurité des lieux de la rencontre. Il exerce cette fonction pendant 3 ans, jusqu’à la mort de Zarkaoui au cours d’un raid aérien américain, le 7 juin 2006. Proche des dirigeants djihadistes de sa région natale, Al Anbar, il a été coordonné toute l’opération Al Tarmyeh, l’assaut contre le ministère de la justice ainsi que contre des bureaux de vote et des concentrations populaires, tels les rassemblements organisés à l’occasion des cérémonies religieuses. À son tableau de chasse, outre des attentats contre des églises, des mosquées ou des lieux de culte chiites, il est responsable d’une charge contre la prison Salaheddine et la mosquée chiite de l’iman Sadeq, de même que de l’attaque contre les 3 prisons irakiennes (Al Toubaji, Taji et Abou Ghraib). Il cumule les fonctions de membre du Conseil consultatif et de chef du Conseil militaire de Da’ech.

Intercepté à Bassora dans le sud chiite de l’Irak en 2007, Biblaoui a été transféré au camp Bucca où il demeurera 5 ans avant d’être remis aux autorités irakiennes qui le placeront à la prison d’Abou Ghraib, à Bagdad.

En 2013, il s’échappe de sa cellule après l’assaut d’Al Qaida contre cette prison réputée pour les sévices perpétrés par des tortionnaires américains, et se rend directement vers la Syrie. De là-bas, il prend immédiatement en charge, pour le compte de Da’ech, la direction de plusieurs opérations contre les forces gouvernementales syriennes. Il retournera en Irak défendre sa province d’origine face aux offensives de l’armée irakienne à l’encontre des troupes de Da’ech en position dans la province d’Al Anbar (ouest de l’Irak).

Installé à Mossoul sous un faux nom, il se marie pour masquer ses activités en tant que chef du Conseil militaire de Da’ech après le décès du premier titulaire du poste, Hajji Bakr. Le 5 juin 2014, le Haut Commandement irakien annonce son décès dans le district de Ninive par suite d’un attentat l’explosif – une ceinture qu’il a actionnée lui-même pour échapper à ses assaillants qui tentaient de forcer son domicile après avoir procédé à l’arrestation de son cousin, qui faisait office de chauffeur et garde de corps.

Il passe pour avoir été l’initiateur du projet visant à s’emparer de Mossoul dans l’intention d’en faire la base de départ de la conquête de Bagdad. En hommage posthume à son action, la conquête de Mossoul porte d’ailleurs son nom, inclus dans le nom de code de l’opération.

Selon les confidences recueillies par l’auteur de ce rapport, Biblaoui, avant son basculement, était un officier baasiste admirateur de Saddam Hussein, un officier dévoué à la cause de son pays et de son Président. L’invasion américaine de l’Irak a produit sur lui l’effet d’un séisme politique et personnel, l’incitant à rejoindre les groupes de résistance les plus radicaux, qui étaient pourtant loin de ses convictions et de son mode de vie. Avec Zarkaoui et jusqu’ à leur mort respective, il coordonnait toutes les opérations du groupement.

Un de ses compagnons d’incarcération résume succinctement son parcours : « Il est revenu à l’islam et il a bien fait, bien fait tant pour sa religion que pour son djihad ». De l’avis de nombreux témoins, Biblaoui aura été « incontestablement l’un des cadres militaires irakiens qui a le plus relevé les performances de Da’ech, tant sur le plan sécuritaire que militaire ».

IV. LES PROTAGONISTES DU THÉÂTRE DES OPÉRATIONS EN SYRIE

Six dirigeants de Da’ech ont occupé le devant de la scène syrienne : Abou Loukman, Khalaf Diab Hallous, Abou Omar al-Moulakem, Mahmoud al-Khodr, Abou Abdel Rahman al-Amni et Abou Ali al-Charhi.

A – Abou LoukmanB – Khalad Diab al-HallousC – Abou Omar al-MoulakemD – Mahmoud al-KhodrE – Abou Abdel Rahman al-AmniF– Abou Ali al-Charhi

Émir de l’État islamique à Raqqa, zone frontalière de l’Irak, Abou Loukman est l’homme fort de Da’ech en Syrie, se plaçant en deuxième position hiérarchique juste derrière Abou Bakr al-Baghdadi.

Ali Hammoud al-Chawakh est né en 1973 dans le village de Sahhl, situé à l’ouest de Raqqa. Il appartient à la tribu Al Ojeil, relevant de la confédération tribale de Kobeissate. Diplômé en droit de l’université d’Alep (promotion 1999), il enseigna pendant trois ans dans la région de Raqqa.

En 2003, il fait partie du groupe des Syriens qui s’engageront en Irak dans les combats contre les forces d’occupation américaines. Pourchassé par les services syriens pour son engagement hors frontière et sa forte religiosité, il sera capturé en 2004, incarcéré dans diverses prisons avant d’être transféré à la prison de Saydnanya.

Bénéficiaire de l’amnistie décrétée par le régime syrien à l’occasion du déclenchement du soulèvement contre al-Assad, il sera libéré en mai 2011 en compagnie de trois autres dirigeants néoislamistes : Zouhrane Allouche, Issa al-Cheikh et Hassan Abboud, respectivement chef de l’Armée de l’Islam (Jaych Al Islam), de Soukour As Sham (les Faucons de Damas) et de Ahrar As Sham (les Hommes libres de Levant).

En liaison directe avec Abou Bakr al-Baghdadi, Abou Loukman devait revendiquer la paternité des opérations militaires réalisées par son organisation, désigner les émirs des provinces et procéder à la répartition des combattants sur les divers fronts.

Abou Loukman a été intronisé émir de Raqqa au terme d’un assaut victorieux contre cette bourgade, avant d’être promu commandant de la totalité de la zone frontalière. Son assassinat le 7 janvier 2014 a été annoncé par ses rivaux. Abou Loukman passe pour responsable de toutes les exécutions commises dans le secteur de Raqqa, notamment de la liquidation de son collègue, Abou Saad al-Hadramy, émir du Front An Nosra de Raqqa.

NOTES

[1] Abou Mohamad al-Joulani est le chef du Front Al Nosra, également dénommé Jabhat Al Nosra ou Nosra (جبهة النصرة لأهل الشام, Jabhat an-Nuṣrah li-Ahl ash-Shām, « Front pour la victoire du peuple du Levant » en français). Ce groupe djihadiste de rebelles armés affilié à Al Qaida apparut dans le contexte de la guerre civile syrienne. À partir de novembre 2013, il prend également le nom de Al Qaida fi Bilad ash-Sham, « Al Qaida au Levant » (AQAL) et devient un des plus importants groupes rebelles de Syrie. Il est également doté d’une branche libanaise, qui a revendiqué un attentat commis à Beyrouth en janvier 2014.

[2] « Noussayri » est l’ancienne appellation donnée par les musulmans orthodoxes aux Alaouites, secte à laquelle appartient la famille de Bachar al-Assad et considéré comme hérétique par les jurisconsultes shiites et sunnites.

[3] Haytham Manna utilise le terme « groupe politique » à la place de celui d’oumma, « peuple ou nation », par référence à un verset coranique qui désigne les musulmans.

ILLUSTRATION

Copyrights © SIHR / Madaniya

 

Haytham Manna

Responsable pour la diaspora syrienne du Comité de Coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD, opposition syrienne non armée), il s’oppose avec force à toute intervention étrangère contre son pays et prône un règlement politique. Président de «The Scandinavian Institute For Human Rights (Institut Scandinave des Droits de L’homme (SIHR), Haytham Manna vit en exil en France depuis 35 ans. Titulaire d’un diplôme sur la médecine psychosomatique de l’université de Montpellier, il a exercé au sein de l’équipe médicale du professeur Philippe Castaigne, Département de neurophysiologie du groupe hospitalier Pitié Salpêtrière à Paris. Haytham Manna siège au comité directeur de Justicia Universalis et de l’Institut égyptien des études des droits de l’homme, titulaire des plusieurs distinctions honorifiques dans le domaine des droits de l’homme : Medal of Human Rights – National Academy of Sciences -Washington (1996).

Source: http://www.madaniya.info/2014/09/15/daech-des-hijras-illusoires-aux-bains-de-sang/

 

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