
Dessin de Chappatte paru dans l’International New York Times, Paris.
- AN-NAHAR | HICHAM MELHEM
Les raids aériens des Etats-Unis, de l’Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis, du Bahreïn et du Qatar contre l’organisation Etat islamique (Daech) en Syrie constituent un nouvel indice de la profondeur de la crise et de l’étrangeté des événements qui agitent certains pays arabes. Nous voilà avec des guerres civiles en Syrie, en Libye, au Yémen et en Irak, sans compter des pays comme le Liban et Bahreïn, qui sont au bord du gouffre.
Nous assistons au retour des Etats-Unis, qui essaient d’éradiquer le cancer que représente Daech du corps politique syrien et irakien. Certes, la catastrophique invasion américaine de l’Irak [en 2003] a contribué à l’essor du monstre du communautarisme. Celui-ci ravage deux pays arabes [Syrie et Irak] qui avaient été jadis des foyers de civilisation d’importance mondiale. Il n’en reste pas moins que ce ne sont pas les Américains [contrairement à ce qu’on dit dans le monde arabe] qui ont créé ces affres. C’est notre propre culture politique qui les a suscitées au cours des dernières décennies.
Déserts culturels. Daech a jailli d’une terre brûlée par des régimes autoritaires, des partis uniques, des “sauveurs” et des minorités qui ont accaparé le pouvoir. Cela s’applique à la Syrie, à l’Irak, à l’Egypte, au Yémen, à la Libye et à Bahreïn. Ce sont des régimes répressifs “laïques” qui ont préparé le terrain au cancer djihadiste, en éradiquant toute alternative politique, comme celle qu’on appelle l’“islam politique”.
Il est vrai que Daech, et avant lui Al-Qaida, et encore avant la Gamaa Islamiya [mouvement islamiste égyptien], est une organisation terroriste, à la différence des mouvements politiques tels que les Frères musulmans, qui militent politiquement, même s’ils ont un passé violent. Il n’en reste pas moins que tous ces mouvements islamistes radicaux sont profondément enracinés dans le monde arabe et s’inspirent d’une manière ou d’une autre des idées communément admises des Frères musulmans.
Dans les âneries proférées par Oussama Ben Laden, nous entendons un puissant écho des écrits de Sayyid Qutb, le principal théoricien [égyptien (1906-1966)] des Frères musulmans. En tant qu’Arabes et musulmans, nous ne devons pas nous attendre à ce que le président américain Barack Obama trouve la solution à notre place.
La solution commence par un regard critique sur notre déplorable situation politico-culturelle. Daech est de fabrication locale, comme l’a été le parti Baas [syrien et irakien], autoritaire et chauviniste, ainsi que tous les autres régimes totalitaires. Cet héritage autoritaire a marginalisé les villes qui débordaient de vie culturelle, de créativité artistique et d’activité politique : Alexandrie, Le Caire, Beyrouth, Damas, Bagdad.
Ces villes étaient des mosaïques culturelles et démographiques, fondées sur le pluralisme et la cohabitation – entre musulmans et chrétiens, Juifs et Kurdes, Arméniens et Assyriens, hommes de gauche et conservateurs, croyants et athées. Ces villes ressemblent aujourd’hui à des déserts culturels. Y a-t-il aujourd’hui une bonne université en Egypte ? Combien de livres dans le monde arabe ont été publiés, et qui méritent d’être lus ?
Quel est l’apport des Arabes à la science ? Après la défaite [contre Israël] de 1967, Beyrouth était devenue la ville où les Arabes ont entamé un processus d’autocritique. Aujourd’hui, rien de tel n’est possible.
—Hicham Melhem
Publié le 25 septembre 2014 dans An-Nahar Beyrouth