Un ministre palestinien mort lors d’une manifestation en Cisjordanie

Ziad Abou Ein, 55 ans, était un ministre palestinien, chargé d’un dossier ingérable: l’avancée méticuleuse des colonies juives en Cisjordanie. Il est mort, mercredi 10 décembre, alors qu’il participait à un rassemblement de villageois protestant contre un avant-poste israélien illégal en Cisjordanie.

Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)

Le soleil brillait au-dessus des collines de la vallée de Shilo, au nord de Ramallah. C’était la journée internationale des droits de l’homme. Environ 200 personnes s’étaient rassemblées dans le calme. Plusieurs dizaines de soldats israéliens ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser le groupe, estimant qu’il présentait un danger potentiel pour les colons. Un usage de la force très ordinaire, dans les territoires palestiniens, pour mettre un terme à des attroupements.

Reut Mor, porte-parole de Yesh Din, l’une des plus importantes organisations non gouvernementales israéliennes, était présente sur les lieux.

« C’était une marche totalement pacifique, dit-elle, avec quelques officiels palestiniens, dont le ministre, et des villageois, plus quelques médias locaux. On voulait planter un arbre, un olivier symbolique, pour dénoncer l’avant-poste d’Adeï Ad et l’expropriation des terres palestiniennes. On a marché, vers des terres appartenant à un habitant. Nous étions loin d’Adeï Ad, lorsque les soldats nous ont bloqué. Ils ont commencé à tirer avant même qu’on ne s’approche d’eux. »

« ACTE BARBARE » POUR ABBAS

Ziad Abou Ein faisait partie de quelque 300 manifestants qui voulaient planter des oliviers. Ils ont été interceptés par les soldats israéliens et des échauffourées ont éclaté.
Ziad Abou Ein faisait partie de quelque 300 manifestants qui voulaient planter des oliviers. Ils ont été interceptés par les soldats israéliens et des échauffourées ont éclaté. | AFP/ABBAS MOMANI

Les soldats israéliens et les manifestants ont fini par se retrouver nez-à-nez, dans une ambiance tendue. Une vidéo de la chaîne Sky News Arabia montre que le ministre, Ziad Abou Ein, a été saisi au cou par un soldat israélien qui le repoussait. Il s’est effondré peu après.

Après des soins sur place, insuffisants, il a été transporté à l’hôpital de Ramallah où il est décédé. Certaines sources palestiniennes ont parlé d’un coup de crosse porté au torse. Du côté israélien, l’hypothèse d’une attaque cardiaque a été évoquée, mais non confirmée. Une autopsie doit être réalisée par une équipe mixte, israélienne et jordanienne.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dénoncé un « acte barbare » et décrété trois jours de deuil. Dans les cercles politiques à Ramallah, l’hypothèse d’une rupture de la coopération sécuritaire avec Israël, régulièrement évoquée depuis l’échec des négociations de paix avec Israël au printemps puis la guerre dans la bande de Gaza cet été, est revenue sur la table.

La haute responsable de l’Union européenne chargée de la politique étrangère, Federica Mogherini, a jugé que « les informations sur un usage excessif de la force par les forces de sécurité israéliennes sont très inquiétantes ». L’UE a demandé une enquête « immédiate et indépendante ».

ISRAËL PARLE D’« ÉMEUTIERS »

 Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, le 10 décembre près de Beersheba.
Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, le 10 décembre près de Beersheba. | AFP/JACK GUEZ

Dans un communiqué sec, les forces armées israéliennes ont évoqué la présence de « 200 émeutiers progressant vers la communauté civile de Adeï Ad ». Adeï Ad est l’un des cent avant-postes juifs en Cisjordanie, selon une estimation de l’ONG La Paix Maintenant, c’est-à-dire des implantations sauvages de quelques maisons mobiles ou caravanes, voire de plusieurs dizaines.

Les colonies, elles, font partie d’un programme officielle d’urbanisation. La frontière, pourtant, semble parfois brumeuse. Une trentaine de familles vivent à Adeï Ad et bénéficient de nombreux services communaux, comme le ramassage scolaire ou l’électricité.

Interrogé par Le Monde, le porte-parole de l’armée, Peter Lerner, explique que les soldats ont utilisé « des méthodes classiques de contrôle de la foule ». Selon lui, les « émeutiers » présentaient un danger potentiel car ils se rapprochaient d’Adeï Ad.

« Jusqu’à ce que le gouvernement prenne une décision sur la façon de traiter ces communautés, l’armée est chargée de préserver leur présence. »

De son côté, une source gouvernementale israélienne déplaçait le problème des avant-postes juifs vers le champ judiciaire. « Le premier ministre [Benyamin Nétanyahou] a été très clair. Ce qui est légal est légal, ce qui est illégal est illégal. Jusqu’à ce que des constructions soient jugées illégales, en dernière instance judiciaire, les gens ont le droit au bénéfice du doute. »

LE PROBLÈME ADEÏ AD

Problème : les décisions de démolition des habitations à Adeï Ad ne sont quasiment jamais exécutées, selon l’ONG Yesh Din. Les manifestants palestiniens présents sur place avaient d’autant moins de raison de se transformer en « émeutiers » qu’ils étaient là pour promouvoir une démarche judiciaire, entreprise par Yesh Din, à laquelle les chefs des quatre villages arabes spoliés aux alentours se sont associés.

Il s’agit d’une plainte devant la Cour suprême israélienne, déposée mercredi, et dont le contenu a été passé sous silence par les médias israéliens, concentrés logiquement sur le décès de Ziad Abou Ein et les nouvelles violences qu’il pourrait susciter en Cisjordanie.

L’objet de la plainte ne consiste pas, comme souvent dans le passé, à dénoncer l’expropriation des terres palestiniennes (26 % des terrains sous le contrôle d’Adeï Ad ont été pris illégalement). Cette fois, elle met en cause les violations des droits élémentaires des habitants palestiniens : liberté de circulation, liberté d’exploiter un bien privé, droit à la sécurité.

« Avant, l’État israélien était embarrassé par ces avant-postes et cachait son implication, explique Ziv Stahl, enquêteuse de terrain à Yesh Din, qui étudie Adeï Ad depuis quatre ans. Aujourd’hui, les autorités ne disent plus qu’ils sont illégaux, mais ils cherchent à les légaliser, en déplaçant quelques caravanes ou bien en décidant de fouilles archéologiques. »

En 2013, Yesh Din a publié un rapport très détaillé et rigoureux sur Adeï Ad, véritable cas d’école. « On s’est rendu compte qu’il existait un plan pour développer vers l’est la présence israélienne, afin de couper la Cisjordanie en deux, de la ligne verte [ligne de démarcation de 1949] jusqu’à la vallée du Jourdain, en passant par la colonie d’Ariel », explique Reut Mor, la porte-parole de Yesh Din.

>> Lire le décryptage : Cinq mois d’escalade des violences à Jérusalem

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/10/mort-d-un-ministre-palestinien-en-cisjordanie_4537880_3218.html#cpBp9OYtxEiyoxCZ.99

Source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/10/mort-d-un-ministre-palestinien-en-cisjordanie_4537880_3218.html

 

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