
Après chaque attentat, le Captagon est pointé du doigt : les terroristes auraient commis leurs crimes sous l’effet de cette substance qui les désinhiberait dans leur folie sanguinaire. Qui fabrique cette drogue ? Comment s’est-elle retrouvée sur le front syrien ? Sophie Des Déserts a remonté pour Vanity Fair la piste des labos et rencontré ceux qui l’ont consommée.
Sur son passage, d’habitude, la sécurité baisse la garde et les têtes s’inclinent respectueusement. À l’aéroport international Rafic-Hariri de Beyrouth, sa silhouette juvénile, parfois drapée dans une dichdacha blanche, en impose. Même George Clooney n’a pas droit à tant d’égards quand il débarque au pays de son épouse. Mais enfin, Abdel Mohsen Ibn Walid Ibn Abdelaziz est un prince, un descendant de la famille royale saoudienne, autant dire un frère, tant le clan Saoud est lié au Liban qu’il finance et considère, depuis toujours, comme son terrain de jeu. L’héritier de 29 ans profite souvent des délices de Beyrouth quand il n’est pas à Londres ou à Dubaï. Il aime se détendre au Four Seasons, l’étincelant palace du front de mer. Ce lundi 26 octobre 2015, Abdel Mohsen s’apprête à embarquer dans son jet, direction Riyad. L’été indien s’éteint. La fête est finie. Il repart avec quatre amis et quelques souvenirs, empaquetés dans des cartons marqués du sceau de l’Arabie saoudite, deux sabres en croix sous un palmier. Soudain, voilà qu’on l’arrête, qu’on lui demande ses papiers, qu’on l’interroge sur ce qu’il transporte. Le prince s’offusque, brandit son passeport diplomatique. Mais ce jour-là, les douaniers ouvrent les bagages – 8 valises en cuir, 32 cartons – et découvrent… des rivières de cachets gravés de deux lettres C qui se croisent. Du Captagon, cette drogue cousine des amphétamines très en vogue dans la région. « Tout ça n’est pas à moi », bredouille son altesse, sans convaincre les policiers. Depuis ce jour, « le prince Captagon », comme l’appelle la presse arabe, dort en prison. À Riyad, théoriquement, il risque gros : la drogue est une offense à Dieu et les dealers vont droit à l’échafaud. Le royaume saoudien s’active en coulisses pour régler l’affaire discrètement. Et dans son QG au cœur de Beyrouth, le colonel Ghassan Chamseddine, chef de la lutte antidrogue au Liban, paraît bien embarrassé. Silhouette martiale sanglée dans un uniforme sombre, l’œil noir et le ton affable, il pèse ses mots : « Cette histoire est bien compliquée. Le prince soutient qu’il n’était au courant de rien, qu’il a été naïf, trompé par son entourage. L’instruction est en cours. Je ne peux rien vous dire de plus. » Les deux hommes arrêtés avec le Saoudien refusent d’endosser toute la culpabilité ; ils se présentent comme de simples amis chargés d’accompagner le riche héritier qui devait subir une opération de chirurgie esthétique à Beyrouth et récupérer au passage quelques cartons de Captagon. Les enquêteurs tentent de démêler les fils : à qui étaient destinées ces deux tonnes de pilules, estimées à plus de 10 millions de dollars ? À la consommation personnelle du prince ? Au marché intérieur du royaume wahhabite ? Ou aux combattants extérieurs qu’il soutient en Syrie, au Yémen et ailleurs ?
Le labo du Zyklon B
Avec le Captagon, tout est possible. C’est la drogue du moment, mystérieuse, insaisissable, célébrité vintage de retour sur scène après quelques métamorphoses. Sa vie est un roman. En un demi-siècle, elle a changé de formule, d’apparence, de territoire ; elle a séduit les écrivains, les médecins et intrigue désormais les spécialistes de géopolitique. Ils découvrent son incroyable emprise sur les peuples fortunés du Golfe, sa production souterraine, protéiforme, partiellement dévoilée lors des saisies pharaoniques opérées au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Turquie… En novembre 2015, onze millions de comprimés ont encore été confisqués dans la province d’Hatay. « Vous n’imaginez pas l’ampleur du phénomène », soupire un expert de l’ONU. Le Captagon envahit le Proche-Orient et inquiète aujourd’hui l’Occident. Du front syrien émergent des témoignages et des images irréelles, celles de cargaisons de gélules retrouvées dans les ports, les villages, les souks, de vidéos de combattants gonflés à bloc et de zombies qui planent, tout sourire, devant des champs de ruines et des têtes coupées. Le Captagon serait aujourd’hui l’arme secrète des djihadistes, la potion fatale qui les transforme en bêtes sanguinaires sur une plage, un musée de Tunisie, une salle de concert à Paris. Les rumeurs courent et le Captagon nous rend fous, pilule de tous les fantasmes, remède pratique, sans doute, pour penser l’impensable, expliquer le retour de la barbarie au cœur de nos vies ? Hélas, pas seulement.
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Le prince Abdel Mohsen Ibn Walid Ibn Abdelaziz (DR).
Il a fallu près d’un mois pour que le laboratoire allemand Evonik retrouve, dans ses archives, les traces de la naissance du Captagon. « Un de nos médecins, le Dr Karl-Heinz Klinger, a découvert la molécule à l’origine de sa fabrication : la fénétylline. Il l’a développée à la fin des années 1950 dans notre division de Hambourg », rappelle la responsable de la communication après avoir consulté les historiens de la firme. Evonik s’appelait alors Degussa et cherchait à faire oublier son sinistre passé : c’est elle qui avait créé et distribué dans les camps le gaz de la mort, le Zyklon B ; elle aussi qui recyclait l’or arraché aux mâchoires des déportés. Après la guerre, malgré l’opprobre, l’entreprise a survécu et le business a continué, as usual ou presque, avec la recherche de nouvelles molécules.
La fénétylline est conçue comme une cousine des amphétamines, ce dopant miraculeux découvert lui aussi en Allemagne, à l’université de Berlin en 1887, développé aux États-Unis dans les années 1930, puis distribué en masse aux soldats anglais et américains. Rien de tel pour garder le « fighting spirit », rester éveillé 48 heures d’affilée et vaincre la peur. Les nazis et les Japonais se sont shootés avec un produit aux effets similaires, la méthamphétamine. Selon les historiens du Reich, Hitler lui-même en prenait, dans les cocktails préparés par son médecin personnel, Theodor Morell. En 1945, les combats ont cessé mais les amphétamines, en vente libre, ont été conseillées – promues dans des publicités – pour continuer à lutter dans la vie quotidienne : soigner l’angoisse de la guerre froide, de la bombe atomique, de la vieillesse et même le baby blues… Les cas d’addiction sont légion et pas seulement chez les beatniks de la côte Ouest, avec des répercussions graves sur la santé, des hallucinations, des lésions cardiaques. Les médecins s’inquiètent et les politiques aussi, face à cette substance menaçante pour l’ordre social. (À partir de 1970, les amphétamines seront progressivement interdites). Les scientifiques de Degussa cherchent une molécule qui ait le même effet stimulant que l’amphétamine, mais sans les inconvénients. Une « smart drug », en somme, plus respectable, plus douce pour le corps et surtout moins addictive.
Le Nirvana en 30 mn chrono
Il n’a pas franchement l’air d’un junkie mais il en parle avec une pointe de gourmandise, les mains caressant son pull en cachemire. Jean-Pol Tassin est chimiste, biologiste, chercheur à l’Inserm après avoir œuvré durant trente ans au Collège de France. De son laboratoire de Jussieu, avec une vue paisible sur la Seine, il passe ses journées à étudier les stupéfiants et leurs effets sur l’homme. « La fénétylline, à l’origine, c’est assez formidable, indique-t-il. Il s’agit d’un psychostimulant qui n’a pas les effets négatifs des autres psychostimulants à condition, bien sûr, qu’il soit consommé à faible dose. Il ne rend pas accro, n’augmente pas trop la pression artérielle et réduit donc les risques cardiovasculaires. Une fois ingéré, il se décompose en amphétamine pour seulement 5 %, selon le fabricant d’origine, et en théophylline, une substance qui ressemble à des produits existants dans le thé, le café. L’amphétamine pénètre dans les neurones et libère deux neurotransmetteurs en une demi-heure environ : la dopamine, qui agit notamment sur le circuit de la récompense et du plaisir, et la noradrénaline, qui augmente la vigilance et réduit le sentiment de fatigue. Ainsi, la fénétylline augmente votre perception de l’environnement, votre concentration, votre bien-être. Avec plusieurs comprimés, vous vous sentez, quelques heures durant, le roi du monde, avant de retomber dans un état d’abattement intense. »
Pour décrocher une autorisation de mise sur le marché, Degussa avance évidemment une autre indication, beaucoup moins périlleuse et plus médicale : le traitement du trouble de déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) chez les enfants. Certaines études ont en effet démontré que sa molécule – en stimulant l’activité du cortex cérébral – leur permettait de se calmer et de retrouver leurs facultés d’apprentissage. Proche du méthylphénidate (la célèbre Ritaline), la fénétylline est ainsi marketée, en 1963, comme remède à l’hyperactivité et plus rarement indiquée contre la narcolepsie avant d’être détournée de son indication première et consommée massivement. Il faut avouer que les petits génies de Degussa lui ont trouvé une appellation diablement efficace, un nom qui claque dans toutes les langues. Captagon, comme une contraction de « captain » et de « Pentagon ». Captagon, d’emblée, ça charrie de la niaque et du pouvoir, de l’énergie pour se sentir d’attaque.
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Philippe Sollers (photo Jack Guez / AFP)
« Quel nom incroyable », philosophe en ce matin glacial Philippe Sollers, dans un grand rire enfumé légèrement nostalgique. Nombre de plaisirs interdits ont marqué son existence d’écrivain libertaire, mais celui-là a manifestement laissé une empreinte singulière. « Oh oui, j’ai longtemps pris du Captagon. C’était la suite du corydrane que Sartre affectionnait et qui lui a d’ailleurs bousillé la vue. J’avais trouvé un médecin complice qui me faisait des ordonnances et j’en prenais au réveil avec mon café, pour un démarrage foudroyant. Un miracle. Un seul cachet et j’étais immédiatement opérationnel pour écrire. J’avais, grâce à cela, des fulgurances, une lucidité particulière. » Dans les années 1970, Sollers fournit quelques intellectuels en vue de Saint-Germain-des-Prés, Bernard-Henri Lévy finit ses livres la nuit au Captagon et Yves Mourousi, le survolté de TF1, en prend pour dynamiter l’antenne. Les étudiants en consomment pour bachoter avant les examens. Conquises par son effet coupe-faim, les filles l’adoptent, tout comme les zélotes du bodybuilding. « C’est bon pour la sèche », écrivent encore, sur des sites web spécialisés, quelques culturistes toujours soucieux de faire fondre leur masse graisseuse.
Des terrains de foot aux zones de guerre
À l’époque, la petite pilule plaît aussi aux cyclistes, aux boxeurs, aux rugbymen. « Il y a eu toute une génération Captagon, reconnaît Bernard Laporte, l’ancien secrétaire d’État aux sports, aujourd’hui entraîneur du Rugby club toulonnais. Les mecs se gavaient avant les matchs. » Dans le livre Rugby à charges (Pierre Ballester, éditions La Martinière, 2015), le médecin du Quinze de France de 1975 à 1995, Jacques Mombet, raconte que « les joueurs avaient chacun leur pilule devant leur assiette » avant de rentrer dans le stade. C’est même grâce à ce remontant que l’équipe tricolore aurait vaincu les All Blacks en 1986. À peu près au même moment, Bernard Tapie en distribuait aussi aux joueurs de l’OM, comme le révèle Marcel Desailly dans son autobiographie (Capitaine, Stock, 2002). L’homme d’affaires en avalait dans les vestiaires pour montrer l’exemple. Tellement banal, ce Captagon… Dans le film L’Hermine, sorti à l’automne 2015, le magistrat joué par Fabrice Luchini en prend même pour lutter contre la grippe sur les conseils de son médecin généraliste.
Le Captagon, c’est bon pour tout : le moral, l’énergie, la force, la concentration… à condition de ne pas en abuser. Or partout, en Europe comme aux États-Unis, la pilule étend son influence et les autorités sanitaires craignent l’overdose : la Federal Drug Administration (l’agence américaine chargée de la surveillance des médicaments) d’abord, dès 1981, puis l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, en 1986, inclut la fénétylline sur la liste des psychotropes interdits. Le laboratoire Degussa se bat jusqu’au bout, multiplie les publications affirmant que sa pilule n’est pas une drogue. En vain. « Après 1986, nous avons donc réduit la fabrication de fénétylline et aussi les exportations, indique la responsable de communication de l’entreprise devenue Evonik. La décision de l’OMS signait pour nous l’arrêt de toute production légale. On l’a donc stoppée. » En réalité, le département pharmaceutique a été transformé puis revendu à Meda Pharma qui a continué à produire du Captagon pour des indications contrôlées – en Allemagne, notamment pour le traitement de l’hyperactivité. En France aussi, le Captagon a bénéficié jusqu’en 2013 d’une autorisation temporaire d’utilisation pour des cas rares de narcolepsie sévère.
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Du Captagon (à droite) saisi avec unrécipient de cocaïne, en 2010 à Beyrouth (photo Joseph Eid / AFP).
Avant même d’être banni officiellement par l’OMS, le Captagon a trouvé refuge en ex-URSS. Il est notamment produit en Bulgarie par Pharmachim, un laboratoire d’État qui, grâce à lui, fait rentrer de nombreuses devises. Près de Sofia, trois usines tournent à plein régime jusqu’à la chute du mur de Berlin. Privatisé, le Captagon tombe aux mains des mafias qui le fabriquent dans des labos clandestins, selon une étude de l’Union européenne intitulée « Organized Crime in Bulgaria. Market and Trends » (2007). Les clans se déchirent et se disputent même les chimistes spécialisés dans la production de fénétylline ; à la fin des années 1990, la fille de l’un d’entre eux est retrouvée assassinée. À la stupeur des douaniers, le trafic s’amplifie alors que la jeunesse bulgare, elle, s’enivre de nouveautés – gélules colorées, ecstasy, héroïne – qui déboulent à cette époque dans les soirées. Le Captagon, c’est la pilule du pauvre, produite pour quelques dollars, sans grande valeur sur le marché intérieur. Mais hors d’Europe, elle vaut de l’or.
Demande exponentielle
De son bureau situé sous les toits, non loin des Champs-Élysées, le directeur de l’Institut de recherche anticontrefaçon de médicaments (IRACM), Bernard Leroy contemple la tour Eiffel en tirant sur ses bretelles vermillon. Le sourire patelin jauge. Cet ancien magistrat, spécialisé dès son premier poste à Évry dans la lutte contre le trafic de drogue, a été détaché à Vienne de 1990 à 2010 auprès de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) où il a œuvré pour l’harmonisation des lois contre les stupéfiants et noué des contacts dans le monde entier. « Ce sont mes interlocuteurs saoudiens qui, les premiers, m’ont parlé du Captagon, au mitan des années 1990, se souvient-il. Ils étaient très inquiets. Pour eux, cette drogue est une honte, un véritable fléau national. » En terre wahhabite, tout le monde connaît la petite pilule aux deux C croisés qui semblent dessiner un croissant de lune, symbole de l’islam. On l’appelle al Kabtagon ou encore abou hilalain (le père du croissant de lune, en arabe), Anadin, Boomerang… Il en existe de toutes sortes et de toutes les couleurs, des blanches, des roses, des jaunes, des violettes, gravées d’un cœur, d’un petit lapin Playboy, des ailes de Batman, d’un smiley, d’une colombe… De la farawla (la fraise, en arabe) à moins d’un dollar, à la Ziniya, la version luxe – matière première de haute qualité et effets stratosphériques garantis – au prix de 20 à 30 dollars le comprimé, celle qui se cachait à Beyrouth dans les bagages du prince. Les douaniers saoudiens luttent comme ils peuvent, las de voir leur pays figurer toujours en haut du palmarès des saisies (près de 40 millions de pilules par an, selon un rapport de l’ONU de 2013). Le Captagon pénètre par le ciel, la terre, les mers, transporté par camions, paquebots, planeurs, caché dans des conteneurs de maïs, des rouleaux de tissu, des olives fourrées, des boîtes d’œufs, de gâteaux, de jouets. La demande est exponentielle.
Au royaume de La Mecque et des plaisirs interdits, le Captagon s’est fait connaître pour ses pouvoirs sexuels. Réputé aussi efficace que le Viagra, avec des effets prodigieux des heures durant, il a commencé à circuler dans les majlis, ces cercles où l’on discute entre hommes. Peu à peu, il a conquis tous les milieux et tous les âges, les accros aux nuits blanches, les étudiants en quête de performance, les chauffeurs de bus, les dépressifs, celles et ceux, nombreux dans ce peuple sédentaire, qui craignent de devenir obèses. Au début des années 2000, l’épidémie de Captagon s’est étendue au Qatar, au Koweit, au sultanat d’Oman… Un chercheur anglais, Justin Thomas, professeur en psychologie à Abou Dabi, a tenté d’expliquer cet incroyable succès dans son livre Psychological Well-Being in the Gulf States (Palgrave Macmillan, 2013). « Une drogue aussi géolocalisée, qui reste la plus prisée en dépit de toute la concurrence, c’est inouï, indique-t-il de son bureau de l’université Zayed. Le Captagon jouit de son prestige d’ancien médicament, il a l’avantage de ressembler à un comprimé d’aspirine. Pas d’injection, pas d’inhalation, il s’avale discrètement. Dans les sociétés du Golfe, où les interdits sont nombreux, le mal-être profond, indicible, les gens n’ont pas beaucoup de moyens de s’évader… Le problème, c’est que la consommation peut commencer très tôt, dès l’âge de 14 ans. » L’addiction au Captagon se soigne en cachette sur les collines de l’île Maurice, au bord d’une piscine ombragée, entre palmiers et bananiers. La clinique des Mariannes propose une cure de désintoxication – 14 000 dollars les vingt-huit jours – sur une idée de son directeur, le Dr Siddick Maudarbocus. « J’ai travaillé en Arabie saoudite et découvert que beaucoup de gens, accros aux somnifères, prenaient aussi du Captagon pour se réveiller, être efficaces. Ils disent que, contrairement à l’alcool, ce n’est pas haram [impie], qu’ils peuvent avec lui continuer à prier. Alors, ils forcent les doses et rentrent dans un cycle infernal d’hyperexcitation et d’apathie, avec des descentes douloureuses, des hallucinations qui les empêchent de vivre. Il y a bien quelques centres de rehab, mais c’est encore tabou. Alors, il y a trois ans, j’ai eu l’idée de soigner ici… » L’île Maurice n’est pas si loin, deux avions d’Emirates la desservent chaque jour au départ de Dubaï. Dépaysement total, luxe et anonymat garanti. C’est mieux encore qu’en Thaïlande, où quelques établissements se sont aussi spécialisés dans les détox anti-Captagon. Plus de deux cents patients originaires du Golfe ont déjà été traités aux Mariannes, selon le Dr Maudarbocus : « Quand ils arrivent ici, ils n’ont plus de cadre, plus de frein dans le cerveau, plus de frontière entre le réel et l’irréel ; ils ne s’arrêtent jamais et veulent faire du jogging à 3 heures du matin. » Au programme : sevrage immédiat (le Captagon est confisqué dès l’arrivée ; le patient renvoyé s’il en cache), acupuncture, yoga, massages, repas diététiques, discussion sur la foi. « On leur explique que Dieu ne leur en veut pas, insiste le médecin. Et ça les aide beaucoup. »
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Des images de propagande de Daech (via AFP).
La guérison peut prendre du temps, d’autant plus que personne ne sait ce que contient le Captagon moderne. De la formule originelle, seul le nom a subsisté. Les recettes changent au gré des matières premières disponibles et des zones de production. Depuis l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne en 2007 et l’intensification des contrôles, les usines se sont déplacées, en Turquie d’abord, puis en Syrie, au Liban. Parfois, des chimistes bulgares viennent encore monnayer leur expertise (un certain Carbozov, spécialiste reconnu du Captagon, a ainsi été arrêté au Liban en novembre 2014, grâce aux renseignements des services saoudiens). Mais, le Captagon ne requiert pas nécessairement de savoir-faire pointu : « Il se fabrique avec de simples machines à bonbons le plus souvent importées de Chine ou d’Inde pour quelques centaines de dollars », nous explique dans son bureau couvert de trophées, le colonel Ghassan Chamseddine, qui a saisi avec ses équipes plus de 55 millions de pilules en 2014. « Le produit chimique de base est aussi le plus souvent importé d’Asie facilement pour trois fois rien. » La préparation est assurée dans de petites usines, ou même dans des laboratoires mobiles cachés dans des caves, des maisons, des écoles. Les échantillons récemment analysés en Arabie saoudite, en Jordanie, en Turquie, en Serbie, en Irak, ne contiennent généralement plus de fénétylline. Seulement un cocktail de caféine, d’éphédrine, de quinine… mélangé le plus souvent à de l’amphétamine. La même molécule qui a dopé jadis les combattants de la bataille d’Angleterre, des guerres du Vietnam et d’Afghanistan.
Printemps arabe et crise ukrainienne
Deux jeunes chercheurs du département des Middle East Studies de l’université George-Washington, Will Nichols et Max Kravitz, ont longuement enquêté sur le Captagonaprès avoir lu, en 2013, un article du magazine Time consacré au rôle de cette étrange pilule dans la guerre en Syrie. Il était intitulé « Syria’s Breaking Bad », en référence à la série américaine dans laquelle un professeur de chimie fabrique chez lui de la méthamphétamine pour assurer l’avenir de sa famille, avant de devenir dealer à grande échelle. Au printemps 2015, les deux thésards ont pu interviewer des policiers turcs, chypriotes, émiratis, saoudiens… et des experts de la Drug Enforcement Administration (DEA), le service de police fédéral américain chargé de la lutte contre la drogue. C’est alors qu’ils ont découvert que les États-Unis surveillent depuis 15 ans l’inexorable progression du Captagon. Selon eux, « le gouvernement américain est très attentif à son effet déstabilisateur pour la région ». La DEA mène d’ailleurs sa propre enquête pour savoir qui tient le marché du Captagon car il est une source de financement importante dans la guerre en Syrie. Les pilules blanches rapportent aujourd’hui des centaines des millions de dollars aux rebelles comme aux défenseurs de Bachar Al-Assad. Une grande partie de la production vient du bastion du Hezbollah, la plaine de la Bekaa située à la frontière du Liban et de la Syrie déjà réputée pour sa culture du haschich. Le Hezbollah trouverait ainsi avec le Captagon un moyen de financer ses activités et ses armes avec le soutien de l’Iran.
Les deux chercheurs écrivent que l’un des guides spirituels de l’organisation aurait même publié une fatwa autorisant la production et la commercialisation du cachet dopant, à condition que les chiites n’y goûtent pas. « La majorité de la production est destinée aux pays du Golfe, en particulier à l’Arabie saoudite », affirme Will Nichols. À Riyad, certains responsables pensent même que les chiites, leurs ennemis héréditaires, déversent délibérément du Captagon chez eux pour miner la société et renverser la monarchie. Une information confirmée par plusieurs sources. Il se murmure même aujourd’hui que l’arrestation à Beyrouth du « prince Captagon » serait un coup monté visant à déstabiliser davantage encore la famille royale. Il s’agirait d’une vengeance du Hezbollah téléguidée par l’Iran, pour riposter à l’arrestation du guide religieux chiite, Nimr Baqer Al-Nimr (exécuté à Riyad le 2 janvier 2016). Quoi qu’il en soit, les Saoudiens, en consommant toujours plus de pilules, remplissent malgré eux les caisses du Hezbollah, fidèle soutien d’Assad, alors mêmes qu’ils dépensent des millions pour le renverser, en finançant les rebelles syriens.
L’exportation n’absorbe pas toute la production de Captagon et il en reste beaucoup sur place, pour les combattants notamment. Depuis le début de la guerre en Syrie, la petite pilule est un enjeu de propagande. Tous les camps, les défenseurs du régime comme les autres, s’accusent mutuellement de se shooter avec. La Russie, alliée d’Assad, s’est invitée dans le débat au printemps 2015, avec l’agence de presse RIA Novosti. Selon cet organe proche du pouvoir, le Captagon, « potion de la terreur », aurait fait éclore le Printemps arabe en galvanisant les foules de Tunisie, d’Égypte, de Libye. Kadhafi aussi accusait ses opposants de prendre des drogues, une explication souvent utilisée par des régimes qui ne veulent reconnaître que d’autres causes, moins chimiques, peuvent déclencher la révolte d’un peuple. Des médias russes prétendent que du Captagon aurait aussi été distribué en masse aux manifestants de Maïdan et aux forces ukrainiennes. Il serait même produit par un laboratoire officiel de l’Otan en Bulgarie. La rumeur a enflé, au point d’appeler un démenti, à Sofia, de l’ex-ministre de la défense, Nicolaï Tsonev.
Le double discours de daech
Partout, le Captagon répand sa poudre blanche et les soldats de Daech paraissent aussi y succomber. Après la bataille de Kobané, en janvier 2015, les Kurdes racontent que certains de leurs adversaires morts au combat avaient les proches remplis de comprimés blancs. Ils diffusent des vidéos montrant des prisonniers djihadistes hagards, les yeux comme fous, incapables d’aligner trois mots. En mai 2015, le chef de la police de la province de Diyala, à l’ouest de l’Irak, annonce une saisie record de Captagon appartenant à Daech. « Ils n’arrêtent pas d’en prendre, dit-il. Ça les rend complètement fous. » Ce même mois, lors d’une réunion de l’ONU sur le trafic de drogue, le commissaire Iouri Fedotov, ancien ambassadeur de Russie en Grande-Bretagne, déclare solennellement que « Daech est impliqué dans la contrebande du matériel chimique qui produit le Captagon ».
Quand, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, Jean-Pol Tassin découvre les témoignages des survivants du Bataclan, il a peu de doute. « Tout paraissait suggérer, chez les tueurs, l’ingestion de psychostimulants comme le Captagon, rappelle-t-il comme s’il examinait un cas clinique. Leurs regards vides, leur détermination, les tirs mécaniques, implacables, même sur les corps à terre, et puis soudain, au bout de deux heures, un affaiblissement, un semblant d’humanité, des échanges avec les otages comme si l’effet du produit se dissipait, qu’ils reprenaient contact avec le réel. » Jean-Pol Tassin s’avance, suggérant que la chimie explique probablement la barbarie. Il n’est pas le seul, d’autres experts émettent la même hypothèse. Philippe Sollers croit lui aussi déceler dans ce 13 novembre la marque de son ancienne drogue fétiche. « Les terroristes sont bourrés de Captagon. On les manipule. La descente est infernale, dit-il. Et c’est pour ça que certains se sont fait exploser au Stade de France : ils commençaient à retomber et, voyant qu’ils allaient aller en enfer, ils ont préféré rejoindre leur paradis. » Des dizaines d’articles sont consacrées à la « drogue des djihadistes ». Le Point croit même tenir la preuve ultime en retrouvant et en filmant, des seringues dans une chambre d’hôtel louée à Alfortville, la veille des attentats, par Salah Abdeslam. Il s’agissait en réalité du matériel de la police scientifique oublié après l’inspection des lieux !
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Au lendemain du 13 novembre 2016, devant le Bataclan (photo AFP).
Deux mois après le drame, le parquet de Paris met fin aux supputations : aucun des terroristes du 13 novembre n’était drogué. Aujourd’hui, Jean-Pol Tassin est un peu désolé : « Il est vrai que cela rassurait de penser qu’ils avaient pris des stupéfiants, qu’ils n’ont pas fait un tel massacre en pleine conscience. Et c’est pour ça, sans doute, que l’on a souscrit si vite à cette thèse. » Pourtant, il semble avoir encore quelques interrogations. « Il faudrait voir, risque-t-il, dans quelles conditions ont été effectuées les autopsies sur les corps, combien de temps après la mort et qu’est ce qu’on a vraiment cherché. Le Captagon a une durée de vie limitée dans l’organisme, le corps l’absorbe et les effets disparaissent au bout d’une heure trente à deux heures, selon les individus. » À l’Institut médico-légal de Paris, c’est le black-out. Un médecin légiste de renom s’étonne du silence autour des prélèvements réalisés sur les assassins du 13 novembre. Aucun expert mobilisé sur l’enquête n’est autorisé à parler. Secret de l’instruction. Le ministère de l’intérieur renvoie sur un grand ponte, François Chast, chef du service de pharmacie-toxicologie de l’Hôtel-Dieu. Lui, il est formel : « Je n’ai pas participé aux investigations. Mais si les tueurs du Bataclan avaient pris du Captagon, on en aurait retrouvé, même dans des corps en morceaux. Après la mort, l’organisme garde des traces, soit dans le liquide de lavage gastrique, soit dans le sang cardiaque ou les cheveux. J’imagine que tout a été fait dans les règles de l’art. »
« Leur idéologie, c’est du Captagon »
Marc Trévidic, ex-juge d’instruction du pôle antiterroriste de Paris, n’a pas cru que les auteurs des attentats du 13 novembre étaient forcément sous l’emprise d’un stupéfiant. Il a interrogé des dizaines de djihadistes de retour de Syrie jusqu’à l’automne 2015 : « Aucun ne m’a jamais parlé du Captagon, ni d’aucune autre drogue d’ailleurs. » Même écho chez ceux qui ont créé des centres de déradicalisation, comme la sociologue Dounia Bouzar ou le chercheur belge Montasser Alde’emeh. « Malheureusement, ils n’ont pas besoin de ça, lâche-il. Leur idéologie, c’est du Captagon ! » Les spécialistes des mouvements djihadistes sont sur la même ligne. Le journaliste de RFI, David Thomson : « Ceux qui sont restés sur place ou sont revenus en France n’évoquent jamais de stupéfiants. Il faut être prudent car le sujet est évidemment tabou et inavouable, mais je ne pense pas qu’ils en consomment de manière massive. » Idem pour le chercheur Romain Caillet, qui revendique de nombreux contacts au sein de l’État islamique. « Quand on sait que Daech donne des coups de fouets pour une simple cigarette, on l’imagine mal délivrer de la drogue à ses troupes. » Sur Internet, les djihadistes s’offusquent des soupçons pesant sur leur sobriété. L’un d’entre eux se lamente sur Twitter : « Même ma mère pense que je prends du Captagon ! » Quelques-uns confessent seulement abuser d’une substance : le tramadol, un antalgique puissant, dérivé de l’opium, prescrit par les médecins de l’organisation. Un djihadiste français en aurait récemment dépassé les doses autorisées, ce qui lui aurait valu de la prison. L’État islamique poste régulièrement des images de stocks de Captagon en feu, brûlés pour bien montrer son combat contre les drogues. Ses partisans disent que le Captagon est une nouvelle intox de l’Occident, de la propagande pure lancée afin de les discréditer. Pour tuer les mécréants, ils n’ont pas besoin d’excitant. La foi les guide, Allah est si grand.
Le journaliste libanais Rami Aysha a côtoyé de près les soldats de Daech : ils l’ont kidnappé le 7 février 2014 à Arsal, près de la frontière syrienne, alors qu’il aidait un confrère danois à préparer une enquête sur le business des rançons. « Les djihadistes qui nous surveillaient prenaient ouvertement du Captagon devant nous, se souvient-il. J’ai reconnu les pilules car j’en avais vu pour la première en 2013, dans la région de Qalamoun et à Qousseir quand j’avais effectué un reportage avec les soldats de l’opposition syrienne. Les hommes de Daech ne considèrent pas que c’est une drogue mais une farawla, une fraise comme ils disent, pour tenir sur le front. » Après 28 jours de détention et le paiement d’une rançon, Rami Aysha a été libéré. Il est reparti en reportage en Syrie, au côté de ceux qui luttent contre l’État islamique.
« Dans la maison bombardée d’un de ses émirs, cet été, des sacs de Captagon ont encore été retrouvés. » Pour lui, c’est clair, la foi n’est pas le seul carburant des islamistes. Un autre journaliste libanais, Radwan Mortada, enquête sur l’influence de la petite pilule blanche dans la région. Il s’est notamment intéressé au parcours du djihadiste de 19 ans arrêté sur sa mobylette avec une ceinture d’explosifs, le 12 novembre 2015, quelques heures avant la double attaque suicide de Bourj El-Barajneh, à Beyrouth, qui a fait plus de quarante victimes. L’homme avait l’habitude de prendre du Captagon. « C’est établi. Lors de son arrestation, il était dans un état second, confus, incapable de parler, explique Radwan Mortada. Il a fallu attendre trois jours pour que les enquêteurs puissent l’interroger. »
Achat en ligne
La même rumeur avait couru au sujet de Seifeddine Rezgui, le jeune assassin qui a abattu trente-huit personnes sur la plage de Sousse, le 26 juin 2015. Une vidéo le montrait souriant avec son arme, riant, photographiant ses victimes. Le Daily Mail évoquait aussitôt la trace de stupéfiants détectés sur son corps, sans plus de détails. L’information n’avait pas été confirmée. Or, selon un responsable haut placé au ministère de l’intérieur tunisien, « le sujet Rezgui présente une présence significative du produit Captagon, consommé depuis plusieurs semaines, à plusieurs reprises avant son décès. » D’après lui, les terroristes du musée du Bardo avaient aussi ingéré ce stupéfiant avant de sortir leurs Kalachnikov, le 18 mars 2015. Les autopsies ne laissent pas de doute, le Captagon retrouvé viendrait de Syrie. À moins qu’il n’ait été commandé sur Internet. C’est un jeu d’enfant d’en trouver ; on en a fait l’expérience un soir en tapant sur Google « Achat + Captagon ». Un message laissé sur un site et un certain « Joko » est aussitôt apparu, avec différentes offres de lots (0,40 dollar la pilule, 24 dollars les 60 ; 144 dollars les 360…) « Trè bon qualité garanti » (sic), écrit-il par mail dans un français approximatif, avant d’indiquer l’adresse d’un compte bancaire enregistré dans l’État de Géorgie aux États-Unis. Rien, malgré nos demandes, sur la composition du produit mais une livraison possible dans un délai de deux à trois semaines.
Pour elle, les pilules arrivaient par la poste dans un petit sachet glissé dans une enveloppe. Jusqu’en juillet 2015, Sonia, comme elle veut qu’on l’appelle, prenait un Captagonchaque jour, sur les conseils d’un barbu lyonnais, fan de boxe, rencontré sur Internet. « Il me disait que cela m’aiderait à me sentir bien, à ne plus avoir peur », confie -t-elle. À près de 30 ans, elle n’avait pas de boulot, avait vécu une adolescence douloureuse marquée par un viol, des déceptions amoureuses. Au printemps 2012, seule dans son studio, elle a découvert des sites islamistes, y a trouvé des amis, un mentor qui lui a offert un Coran, une burqa et des règles de vie qui l’ont aidée à perdre 30 kg. Devant la webcam, la fille du Nord s’est convertie, puis délectée des messages de ses « frères » djihadistes qui, lui ont d’abord suggéré de partir en Syrie avant de l’inciter, une nuit, à passer à l’acte. « Ils m’avaient appris à manipuler des explosifs, je devais les retrouver pour un stage de préparation puis m’attaquer à une synagogue, avec un homme, et prendre des Juifs en otage. Le Captagon, c’était pour m’aider, calmer les angoisses, atteindre le paradis vert. Au début c’était gratuit, puis après j’envoyais un petit billet de 50 euros plié dans une feuille blanche et, avec ça, je recevais dix cachets. » Au téléphone, elle déroule, haletante, presque fière, comme si elle racontait un film d’action : « Ça me rendait ultraspeed, j’avais la bougeotte. Je discutais toute la nuit avec les frères sur Internet. » Sa mère, une ancienne couturière, l’a vue se transformer brutalement. Elle s’en souvient, ce mercredi pluvieux de janvier, dans le bureau de son avocat. Sourire modeste, mains nouées sous la polaire, elle parle pour deux : son mari n’a pas eu la force de l’accompagner. Son sac est rempli des photos de son enfant, brunette bien en chair, puis sylphide en burqa, ne montrant que ses yeux verts. « Ma fille avait un regard bizarre, comme fou, des pupilles dilatées. Je lui disais : “Tu es droguée ou quoi ?” Elle me montrait des photos de décapitation en boucle, sans émotion. » La mère a donné l’alerte quand Sonia lui a parlé d’un projet d’attentat contre le maire de Béthune. Aussitôt, les policiers ont perquisitionné le studio de la convertie et retrouvé des tapis de prière, des bandeaux de Daech, des manuels d’explosifs, des dizaines de messages glaçants – hommage aux frères Kouachi et Coulibaly, à Mohamed Merah, appel à tuer les mécréants – ainsi que ses contacts en Belgique et Syrie, dont celui d’un certain Abdelhamid Abaaoud. Placée en garde à vue avant d’être condamnée à quatre mois de prison ferme pour apologie du terrorisme, Sonia a dû cesser de correspondre avec son dealer lyonnais. En manque, elle a alors frappé à la porte de son médecin généraliste et demandé une ordonnance de Captagon. « Il m’a dit : “Tu es folle !” Pas de ça ici ! se rappelle la jeune femme, aujourd’hui soignée en hôpital psychiatrique. Dommage, car ça coûte pas cher, et avec le Capta, j’étais bien, dans un autre monde. Je me sentais puissante et légère. »
Cet article est paru d’abord dans le numéro 34 (avril 2016) de Vanity Fair.
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