Par Sophie Rahal
Il avait les yeux et le sourire malicieux : le passionné et passionnant intellectuel algérien Malek Chebel s’est éteint samedi 12 novembre à Paris, à l’âge de 63 ans. Anthropologue des religions et multidiplômé (ethnologie, sciences des religions et sciences politiques), psychanalyste, philosophe, essayiste, il faut surtout retenir de Malek Chebel que ses textes comme ses mots défendaient ardemment un « islam moderne », mêlant des références ancestrales à une analyse contemporaine et inspiré de ce que les Lumières avaient apporté de « meilleur (le progrès, l’humanisme) et laissant de côté ce qu’elles ont d’anticlérical », rapportait il y a trois ans le journal La Croix.
En 2004, son Manifeste pour un islam des Lumièresformulait d’ailleurs 27 « propositions pour réformer l’islam » et posait déjà une question devenue fameuse : « L’islam est-il compatible avec la République ? ». Loin de tout feu médiatique, l’ouvrage proposait d’y répondre en définissant les contours d’un islam uniquement ancré dans le réel. Près de dix ans plus tard, l’ouvrage Changer l’islam (éd. Albin Michel) se présentait comme un Dictionnaire des réformateurs musulmans des origines à nos jours. Une vision progressiste, qui avait fait de Chebel une personnalité autant admirée que décriée, mais rarement dans la sphère universitaire.
Un auteur prolifique
Malek Chebel était également un auteur prolifique, et beaucoup de ses livres aspiraient à faire de la pédagogie et du décryptage, à l’instar de son Dictionnaire des symboles musulmans (éd. Albin Michel), de Mahomet et l’Islam (éd. Casterman) ou de L’Islam expliqué (éd. Perrin). Traducteur du Coran (éd. Fayard), il était également l’auteur du Coran raconté aux enfants (éd. Petit Phare) et le coauteur, en 2008, de L’Islam pour les Nuls et du Coran pour les Nuls (deux best-sellers, aux éditions Broché). Son talent s’exprimait également à travers la revue Noor, pour un islam des Lumières (« noor » signifiant « lumière » en arabe) qu’il avait lancée en 2013 et dont deux numéros (seulement) ont paru. La typographie, soignée, faisait s’entrecroiser les deux « O » de Noor comme un rapprochement entre Orient et Occident, que Chebel n’a jamais cessé de promouvoir.
Ses écrits et ses positions sur la sexualité lui ont aussi valu d’être souvent critiqué. Auteur de l’Erotisme arabe et du Kama-Sutra arabe, il affirmait en effet que, « loin d’être un modèle concernant la démocratie ou la liberté de la femme, le monde arabo-musulman possède, concernant le sexe et l’amour, une culture ancestrale très riche » et rappelait que les Arabes sont à l’origine des aphrodisiaques, du préservatif, ou des préliminaires. Une modernité teintée de malice (encore elle), que venait appuyer un regard espiègle qu’on n’oubliera pas.